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n était enflammé et ne brûlait pas... Dieu l’appelle du milieu du buisson, et lui dit, Mosé, Mosé ! Et il répondit, me voilà. N’approche pas, dit Dieu ; ôte tes souliers, [1] car cette terre est sainte. Je suis descendu pour délivrer les israëlites de la main des égyptiens, et je les amenerai dans une terre bonne et spatieuse où coulent le lait et le miel dans le pays des cananéens, des héthéens, des amorréens, des phéréséens, des hêvéens, et des jébuséens. [2].

  1. on n’entrait point dans les temples avec des souliers en Asie et en égypte ; c’est une coutume qui s’est conservée dans tout l’orient. Quelques critiques inferent encore delà que ce livre fut écrit après que les juifs eurent bâti un temple ; car, disent-ils, qu’importait à Dieu que Mosé marchât chaussé ou nud-pié dans l’horrible désert d’Oreb. Ils ne considerent pas que c’est delà, peut-être, qu’est venu l’usage dans les pays chauds d’entrer dans les temples, sans souliers.
  2. nous ne demandons pas ici comme les impies, pourquoi Dieu ne donne pas la superbe et fertile égypte à son peuple chéri, mais ce petit pays assez mauvais, où il est dit qu’il coule des fleuves de lait et de miel, et qui, tout petit qu’il est, n’a jamais été possédé ni entiérement, ni paisiblement par les juifs, où même ils furent esclaves à plusieurs reprises l’espace de cent quatre ans, selon leurs propres livres. Nous n’avons pas la criminelle insolence d’interroger Dieu sur ses desseins. Nous produirons seulement ici la lettre de saint Jérôme à Dardanus, écrite l’an 414 de notre ère ; c’est la lettre 85. Voici la traduction fidele faite par les bénédictins de saint Maur. " je prie ceux qui prétendent que le peuple juif après sa sortie de l’égypte prit possession de ce pays, de nous faire voir ce que ce peuple en a possédé. Tout son domaine ne s’étendait que depuis Dan jusqu’à Bersabé, (cinquante-trois lieues de long). J’ai honte de dire quelle est la largeur de la terre promise. On ne compte que quinze lieues depuis Joppé jusqu’à Bethléem, après quoi on ne trouve plus qu’un affreux désert habité par des nations barbares... vous me direz peut-être, ô juifs, que par la terre promise on doit entendre celle dont Moyse fait la description dans le livre des nombres ; mais vous ne l’avez jamais possédée... et on me promet à moi dans l’évangile la possession du royaume du ciel, dont il n’est fait aucune mention dans votre ancien testament... vous êtes devenus esclaves de tous les peuples que vous avez eus pour voisins " . Nous pouvons ajouter à la lettre de saint Jérôme, que nous avons vu plus de vingt voyageurs qui ont été à Jérusalem, et qui nous ont tous assuré que ce pays est encore plus mauvais qu’il ne l’était du temps de saint Jérôme, parce qu’il n’y a plus personne qui le cultive, et qui porte de la terre sur les montagnes arides dont il est hérissé, pour y planter de la vigne comme autrefois. Nous avons peine à concevoir comment un docteur anglican nommé Shaw, qui n’a fait que passer à Jérusalem, peut être d’un avis contraire à saint Jérôme qui demeura vingt ans à Bethléem, et qui était d’ailleurs le plus savant des peres de l’église. Il ose opposer les fictions de Pietro Della Vallé, au témoignage irréfragable de saint Jérôme. Si ce Shaw avait bien vu, il ne chercherait pas à s’appuyer des mensonges d’un voyageur tel que Pietro Della Vallé. Tout ce que nous pouvons dire sur la Judée, c’est que les juifs, à force de soins et des plus pénibles travaux, parvinrent à recueillir du vin, de l’orge, du seigle, des olives et des herbes odoriferantes, qui se plaisent dans les pays chauds et arides. Mais dès que cette terre a été rendue à elle-même, elle