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battre contre Dieu, combien seras-tu plus fort contre les hommes ! [1]. Jacob, étant donc revenu de Mésopotamie, vint à Salem, et acheta des enfans d’Hémor, pere du jeune prince Sichem, une partie d’un champ pour cent agneaux, ou pour cent dragmonim . Alors Dina, fille de Lia, sortit pour voir les femmes du pays de Sichem ; et le prince Sichem, fils d’Hémor roi du pays, l’aima, l’enleva et coucha avec elle, et lui fit de grandes caresses, et son ame demeura jointe avec elle. Et courant chez son pere Hémor, il lui dit : mon pere ! Je t’en conjure, donne-moi cette fille pour femme [2].

  1. ici vous voyez la paix faite entre le beau-pere et le gendre, qui s’accusaient mutuellement de vol. Ensuite Jacob lutte toute la nuit contre un spectre, un phantôme, un homme ; et cet homme, ce spectre, c’est Dieu même. Dieu, en se battant contre lui, le frappe au nerf de la cuisse. Mais il y a six sortes de nerfs qui se perdent dans le nerf crural antérieur et dans le postérieur. Il y a, outre ces nerfs, le grand nerf sciatique qui se partage en deux. C’est ce nerf qui cause la goute-sciatique, et qui peut rendre boiteux. L’auteur ne pouvait entrer dans ces détails ; l’anatomie n’était pas connue. C’est un usage immémorial chez les juifs d’ôter un nerf de la cuisse des gros animaux dont ils mangent, quoique la loi ne l’ordonne pas. Une autre observation, c’est que la croyance que tous les spectres s’enfuient au point du jour est immémoriale. L’origine de cette idée vient uniquement des rêves qu’on fait quelquefois pendant la nuit, et qui cessent quand on s’éveille le matin. Quant au nom de Jacob changé en celui d’Israël, il est à remarquer que ce nom est celui d’un ange chaldéen. Philon, juif très savant, nous dit que ce nom chaldéen signifie voyant dieu , et non pas fort contre dieu . Ce nom de fort contre dieu semblerait ne convenir qu’à un mauvais ange. Il est surprenant que Jacob, frappé à la cuisse, et cette cuisse étant desséchée, ait encor assez de force pour lutter contre Dieu, et pour lui dire : je ne te lâcherai point que tu ne m’ayes béni. Tout cela est inexplicable par nos faibles connaissances. (Note de Voltaire.)
  2. Maimonide fut le premier qui remarqua les contradictions résultantes de cette avanture de Dina. Il crut que cette fille avait été mariée au même Job, à cet arabe iduméen, dont nous avons le livre, qui est le plus ancien monument de nos antiquités. Depuis ce temps, Aben-Esra, et ensuite Alphonse évêque d’Avila, dans son commentaire sur la genese, le cardinal Caiétan, presque tous les nouveaux commentateurs, et sur tout Astruc, ont prouvé, par la maniere dont les livres saints sont disposés, qu’en suivant l’ordre chronologique Dina ne pouvait tout au plus être âgée que de six ans quand le prince Sichem fut si éperdument amoureux d’elle ; que Siméon ne pouvait avoir qu’onze ans, et son frere Lévi dix, quand ils tuerent eux seuls tous les sichémites ; que par conséquent cette histoire est impossible, si on laisse la genese dans l’ordre où elle est. Une réforme paraitrait donc nécessaire pour laver le peuple de Dieu de l’opprobre éternel dont cette horrible action l’a souillé. Il n’y a personne qui ne souhaite que deux patriarches n’aient pas assassiné tout un peuple, et que les autres patriarches n’aient pas fait un désert d’une ville qui les avait reçus avec tant de bonté. Le crime est si exécrable que Jacob même le condamne expressément. Les savans nient absolument toute cette avanture de Dina et de Sichem. Mais aussi comment nier ce que le saint-esprit a dicté ? Pourra-t-on adopter une