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qu’elles étaient vertes et blanches. Lors donc que les brebis et les chevres étaient couvertes au printemps par les mâles, Jacob mettait ces branches bigarrées sur les abreuvoirs, afin que les femelles conçussent des petits bigarrés. Par ce moyen Jacob devint très riche : il eut beaucoup de troupeaux, de valets et de servantes, de chameaux et d’ânes [1]. Or Jacob, aiant entendu les enfans de Laban qui disaient, Jacob a volé tout ce qui était à notre pere ; et le seigneur aiant dit sur-tout à Jacob, sauve-toi dans le pays de tes peres et vers ta parenté et je serai avec toi, il appella Rachel et Lia, les fit monter sur des chameaux, et partit. Et prenant tous ses meubles avec ses troupeaux, il alla vers Isaac son pere au pays de Canaan. Aiant passé l’Euphrate, Laban le poursuivit pendant sept jours, et l’atteignit enfin vers la montagne de Galaad. Mais Dieu apparut en songe à Laban, et lui dit : garde-toi bien de rien dire contre Jacob [2]. Or Laban étant allé tondre ses brebis, Rachel, avant de s’enfuir, avait pris ce temps pour voler les théraphim , les idoles de son pere. Et Laban, ayant enfin atteint Jacob, lui dit : je pourrais

  1. " quoiqu’en dise le texte, cette nouvelle fraude de Jacob ne devait pas l’enrichir. Il y a eu des hommes assez simples pour essayer cette méthode ; ils n’y ont pas plus réussi que ceux qui ont voulu faire naitre des abeilles du cuir d’un taureau, et une verminiere du sang de bœuf. Toutes ces recettes sont aussi ridicules que la multiplication du bled qu’on trouve dans la maison-rustique , et dans le petit-Albert . S’il suffisait de mettre des couleurs devant les yeux des femelles pour avoir des petits de même couleur, toutes les vaches produiraient des veaux verds ; et tous les agneaux, dont les meres paissent l’herbe verte, seraient verds aussi. Toutes les femmes, qui auraient vu des rosiers, auraient des familles couleur de rose. Cette particularité de l’histoire de Jacob prouve seulement que ce préjugé impertinent est très ancien. Rien n’est si ancien que l’erreur en tout genre. Calmet croit rendre cette recette recevable, en alléguant l’exemple de quelques merles blancs. Nous lui donnerons un merle blanc, quand il nous fera voir des moutons verds ". Cette remarque est de Mr Freret. Nous la donnons telle que nous l’avons trouvée. Elle est bonne en physique, et mauvaise en théologie. (Note de Voltaire.)
  2. il y a bien des choses dignes d’observation. D’abord Dieu défend à Abraham, à Isaac et à Jacob d’épouser des filles idolâtres ; et tous trois, par l’ordre de Dieu même, épousent des filles idolâtres : car ils épousent leurs parentes idolâtres petites-filles de Tharé Potier de terre, feseur d’idoles. Laban est idolâtre. Rachel et Lia sont idolâtres. Ensuite Laban et Jacob son gendre ne sont occupés, pendant vingt ans, qu’à se tromper l’un l’autre. Jacob s’enfuit avec ses femmes et ses concubines, comme un voleur ; et il traîne de l’Euphrate avec lui douze enfans qui sont les douze patriarches qu’il a eus des deux sœurs et de leurs deux servantes. Dieu prend son parti, et avertit Laban l’idolâtre de ne point molester Jacob. C’est, dit-on, une figure de l’église chrétienne. Nous respectons cette figure, et nous ne sommes ni assez savants pour la comprendre, ni assez téméraires pour entrer dans les jugemens de Dieu. (Id.)