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ET DE L'HUMANITÉ. o77

tion de deux domestiques. Ils crurent le voir lui, et sa femme, pâlir et trembler au premier aspect du comte de Montgomery, qui ne soupçonnait point encore le vol dont il se plaignit depuis. De pareilles méprises ne sont que trop communes, et elles sont trop funestes.

Pour ne citer que des exemples connus, et au-dessus de tout reproche, rapportons encore l'incroyable mais publique aven- ture de La Pivardière. M""' de Ghauvelin, mariée en secondes noces avec lui, est accusée de l'avoir fait assassiner dans son château. Deux servantes ont été témoins du meurtre. Sa propre fille a entendu les cris et les dernières paroles de son père : Mon Dieu, ayez pitié de moi! L'une des servantes, malade, en danger de mort, atteste Dieu, en recevant les sacrements de son Église, que sa maîtresse a vu tuer son maître. Plusieurs autres témoins ont vu les linges teints de son sang ; plusieurs ont entendu le coup de fusil par lequel on a commencé l'assassinat. Sa mort est avérée : cependant il n'y avait eu ni coup de fnsil tiré, ni sang répandu, ni personne tué. Le reste est bien plus extraordinaire, La Pivar- dière revient chez lui; il se présente auxjuges de la province, qui poursuivaient la vengeance de sa mort. Les juges ne veulent pas perdre leur procédure; ils lui soutiennent qu'il est mort, qu'il est un imposteur de se dire encore en vie, qu'il doit être puni de mentir ainsi à la justice, que leurs procédures sont plus croyables que lui. Ce procès criminel dure dix-huit mois avant que ce pauvre gentilhomme puisse obtenir un arrêt comme quoi il est en vie.

Dieu de justice! que d'exemples de ces erreurs meurtrières qui se renouvellent chaque année en Europe dans presque tous ces tribunaux gouvernés par la compilation de Tribonien, ou par l'ancienne coutume féodale ! Ces catastrophes n'excitent pas toutes la même rumeur que celle des Calas; elles ne sont pas toutes portées au pied du trône. Le fanatisme ne leur donne pas cette célébrité affreuse qui pénètre si profondément les esprits. Mais la mort du nommé Montbailli à Saint-Omer, et la condamnation de sa femme à être brûlée vive S a été plus horrible et encore

��1. En 1770, le tribunal supérieur d'Arras entreprend, sans aucune vraisem- blance préalable, de juger un jeune homme nommé Montbailli, et de le condamner à la question ordinaire et extraordinaire, au supplice du poing coupé, à être rompu, à être jeté vif dans les flammes, et sa femme à être brûlée avec lui : le mari, comme assassin de sa mère, et la femme comme complice. Le tribunal rend cet arrêt de son propre mouvement, sans qu'il y ait un seul accusateur, un seul témoin. Il semble que ce soit pour lui un plaisir de faire périr deux citoyens

30. — MÉLANGES. IX. 37

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