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ET DE L'HUMANITÉ. 561

hommes en place; ils cabalent, ils essayent de faire condamner le livre et l'auteur par le premier parlement du royaume. Le parlement laisse sagement le public juge d'un livre écrit dans la vue de perfectionner les mœurs publiques.

Ce n'était pas sans doute une chose frivole, une vaine dis- pute, que le livre intitulé Système de la nature ^. C'est un ouvrage de ténèbres mis en lumière, une déclamation perpétuelle sur le mal physique et le mal moral, qui de tout temps assiégèrent la nature. Ce livre trop répandu l'est pourtant moins que le poëme de Lucrèce, dont les éditions sont innombrables, qui est traduit dans toutes les langues, et dont tant de vers sont dans toutes les bouches. Lucrèce même fut imprimé à l'usage du dauphin fils unique de Louis XIV, comme un livre classique, par les soins du vertueux duc de Montausier, et des savants illustres qui prési- dèrent sous lui à l'éducation de ce prince. Les éditeurs n'eurent pour objet que la poésie de l'auteur et la latinité. Ils méprisèrent trop son ignorante et ridicule physique, et ses raisonnements peut-être plus mauvais encore, pour croire que cette lecture fût dangereuse. Si des esprits faibles peuvent en être séduits, s'ils avalent ce poison, l'antidote est tout prêt dans les démonstra- tions de Clarke, dans Derliam, dans Nieuwentyt même, dans cent auteurs qui ont opposé la force irrésistible d'une raison supérieure à la séduction des vers de Lucrèce, lesquels après tout ne sont que des vers. C'est ainsi qu'il faut combattre. Brûlez en cérémonie un exemplaire de Lucrèce, vous n'y gagnerez rien : le bourreau ne convertira jamais personne.

Il était donc nécessaire de réfuter le Système de la nature, si ce mot de réfuter peut s'appliquer à une déclamation si vague et si verbeuse.

Un jeune homme-, élevé longtemps dans la sage congrégation de l'Oratoire, entreprit de faire oublier le livre du Système de la nature par la Philosophie de la nature. Il écrivit non -seulement pour prouver un Dieu, mais pour le faire aimer, pour s'encou- rager lui-même à remercier ce Dieu de la vie qu'il nous a donnée, et de tous les dons qui l'accompagnent, comme pour se résigner dans les malheurs innombrables qui la travei^sent. On découvrait évidemment dans cet écrit une âme honnête et sen- sible. On l'aurait bien mieux aperçue encore si le public n'avait pas été fatigué dans ce temps-là de tant de livres sur la nature :

��\. Par le baron d'Holbach; voyez tome XVIII, page 369. 2. Delisle de Sales, mort le 22 septembre 1816,

30. — Mélanges. IX. 36

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