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ET DE L'HUMANITÉ. 553

feuille d'or ; qu'on présente celte relique à l'empereur de la Chine, et que l'empereur, justement indigné, la fasse jeter dans les réser- voirs dédiés par les anciens Romains à la déesse Cloacina, seul séjour digne d'un tel joyau : certainement on n'osera pas dire, même chez les lamas, que l'empereur chinois soit un sacrilège. Mais qu'un citoyen du royaume deBoutan, sujet du grand-lama, fasse le même usage de ce qui vient des entrailles de son maître, il est coupahle de lèse-majesté divine et humaine sans difficulté. Et il ne faut pas croire que cette énorme différence ne se trouve que dans des cas pareils; elle est dans toutes les lois faites par les hommes. « Vérité et justice en deçà de ce ruisseau, erreur et injustice au delà;» comme l'a dit Pascal après tant d'autres ^

Vous avez sans doute entendu parler de la catastrophe arrivée, l'an 1766, à quelques enfants d'une petite ville d'un royaume voisina Ce royaume possède une espèce de gens inconnus chez nous. Ils sont vêtus autrement que les autres hommes. Leurs cuisses, leurs jamhes, et leurs pieds sont nus; leur harhe descend à la ceinture; une corde les ceint; ils mettent dans leurs manches ce que nous mettons dans nos poches; nous parlons par la houche, et ils parlent par le nez. Les anciens Bretons, qui demeurent à l'occident de la mer d'Allemagne, ne croient pas que ces animaux soient des hommes. Il y a même une loi de leur courir sus s'ils ahordent dans Ule. Mais dans les petites villes du continent dont je vous parle, ils sont si révérés, certains jours de l'année, quand ils font certaines fonctions interdites dans notre pays, qu'il faut se mettre à genoux quand ils passent deux à deux dans la rue.

Or, un jour qu'ils passaient, quelques enfants qui en savaient peut-être trop pour leur âge, négligèrent de s'agenouiller. On prétend même qu'ils montrèrent peu de respect pour une figure de hois que nous ne souffrons point dans notre répuhlique, et qui en effet par elle-même (si on la distingue de l'objet adorable qu'elle représente mal) ne mérite pas beaucoup déconsidération. L'irrévérence de ces enfants envers ce hois ne fut même jamais constatée; les délateurs n'insistèrent que sur une vieille chanson de corps-de-garde chantée à ta])le ; et cette chanson, que personne ne connaît, fut qualifiée de crime de lèse-majesté divine au premier chef.

Ce crime fut jugé par trois magistrats, dont l'un était Icnnemi

��1. Voyez ses Pensées, édition de Desprez, page 157. {Note de Voltaire.)

2. Voyez, dans le tome XXV, page 501, la Relation de la mort du chevalier de La Barre.

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