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548 PRIX DE LA JUSTICE

irrémissiblement ces ennomis de Dieu, parce qu'on ne cloutait pas que Dieu ne les brûlât lui-même dès qu'ils étaient morts; soit qu'il portât en enfer leurs corps restés en terre, soit qu'il y portât leur âme, qu'on ne voyait point. Tous les juges étaient bien persuadés que c'était se conformer à Dieu que de brûler ces impies; qu'on n'anticipait leur enfer que de quelques minutes, et qu'il n'y avait point de musique céleste plus agréable à Dieu, l'auteur de notre vie, que les cris d'une famille entière d'héré- tiques au milieu des flammes.

On a porté des lois bien terribles contre les hérétiques en France. On publia en 1699 un édit par lequel tout hérétique nouvellement converti était condamné aux galères perpétuelles s'il était surpris sortant du royaume ; et ceux qui avaient favorisé sa sortie, livrés à la mort. Ainsi le réputé principal criminel était bien moins puni que le complice. Cette loi barbare et ab- surde n'est point abolie, mais il faut avouer qu'elle est fort mi- tigée par les mœurs; on s'est bien relâché depuis qu'en 1767 l'impératrice de toutes les Russies, souveraine de douze cent mille lieues carrées, a écrit de sa main, à la tête de ses lois, en présence des députés de trente nations et de trente religions : « La faute la plus nuisible serait l'intolérance. »

La raison a fait pour le moins autant de progrès à Versailles depuis que Jésus ne permet plus que les jêsuistes ou jésuites gouvernent cet agréable royaume.

Vous comprenez donc bien, messieurs, qu'un Picard S fugitif de Noyon, réfugié dans une petite ville au pied des Alpes, et accrédité dans cet asile, ne fit pas une action charitable en traînant à un bûcher composé de fagots verts (pour prolonger la cérémonie) un pauvre Espagnol- entiché d'une opinion diffé- rente de l'opinion de ce Picard. Il fit ardre réellement le corps et le sang de l'Espagnol, et non en figure, tandis qu'on cuisait, dans plus d'une ville de France, le fugitif de Noyon en effigie, en attendant sa personne.

Les Guises furent plus injustes et non moins cruels quand ils firent juger à mort par leurs commissaires le vertueux Anne Dubourg^ conseiller au parlement de Paris, Il fut pendu et brûlé sous le règne de François II. Il aurait été chancelier de France sous Henri IV.

��1. Calvin; voyez tome XII, page 303.

2. Servet; voyez ibid., page 306.

3. Voyez tome XXVIII, page 469.

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