Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/550

Cette page n’a pas encore été corrigée

monnaie. La vie de ces hommes, nos semblables, n’était pas plus chère dans l’ancien gouvernement féodal.

Je ne propose pas, sans doute, l’encouragement du meurtre, mais le moyen de le punir sans un meurtre nouveau. Le moyen de venger la famille est de pardonner. En Turquie, lorsqu’un meurtrier est condamné à perdre la vie, il est libre à l'heritier du mort de lui faire grâce : c’est l’ancienne loi que les Turcs ont apportée des bords de la mer d’Hyrcanie. C’était la loi de tous les anciens peuples de la Scythie 1.

Peuples, qui, en cultivant les hautes sciences et les arts aimables, avez conservé des lois plus qu’iroquoises, songez que des philosophes scythes firent autrefois rougir les Grecs!

Vous qui travaillez à réformer ces lois, voyez, avec le jurisconsulte M. Beccaria, s’il est bien raisonnable que, pour apprendre aux hommes à détester l’homicide, des magistrats soient homicides et tuent un homme en grand appareil.

Voyez s’il est nécessaire de le tuer quand on peut le punir autrement, et s’il faut gager un de vos compatriotes pour massacrer habilement votre compatriote, excepté dans un seul cas: c’est celui où il n’y aurait pas d’autre moyen de sauver la vie du plus grand nombre. C’est le cas où l’on tue un chien enragé.

Dans toute autre occurrence, condamnez le criminel à vivre pour être utile ; qu’il travaille continuellement pour son pays, parce qu’il a nui à son pays. Il faut réparer le dommage ; la mort ne répare rien.

1. Une société qui a composé trois volumes pleins d’une érudition utile sur l’Esprit des Lois a fait usage d’une passage curieux des Voyages de Chardin, que je trouve au second volume de l’édition en deux colonnes in-i", 1711, page 297; le voici : « Quand j’arrivai en Perse, je pris les Persans pour des barbares, voyant qu’ils ne procédaient pas méthodiquement comme nous. J’étais surpris qu’ils n’eussent point comme nous de prisons publiques, point d’exécuteur public, point d’ordre ni de méthode. Je pensais que c’était faute d"être aussi policés que nous le sommes... Mais, après avoir passé quinze ans dans l’Orient, j’ai vu que c’était parce que les crimes n’arrivaient pas fréquemment... On n’entend presque jamais parler d’enfoncer les maisons, d’y égorger le monde; on ne sait ce que c’est qu’assassinat, que rencontre, que poison... Dans tout le temps que j’ai été en Perse, je n’ai vu exécuter qu’un seul homme. »

Ensuite Chardin raconte comment le juge exhorte la famille d’un mort à composer avec le meurtrier; mais il raconte aussi comment ces ivrognes de sophis s’abandonnent aux plus incroyables barbaries. La Perse, depuis Chardin, n’est qu’un théâtre des plus incroyables assassinats. La guerre civile a tout saccagé pendant soixante années. C’est presque le temps de Charles IX en France, et de Charles Ier en Angleterre, si pourtant quelque chose a pu approcher de nos guerres religieuses. (Note de Voltaire.)

— Voyez, page 406, dans une note sur l'Avant-propos du Commentaire sur l’Esprit des Lois, le titre de l’ouvrage en trois volumes dont parle Voltaire.