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Jacob, étant arrivé en un certain endroit, et voulant s’y reposer après le soleil couché, prit une pierre, la mit sous sa tête, et il dormit en ce lieu. Il vit en songe une échelle appuyée d’un bout sur la terre, et l’autre bout touchait au ciel. Les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle ; et Dieu était appuyé sur le haut de l’échelle, lui disant je suis le seigneur de ton pere Abraham, et Dieu d’Isaac : je te donnerai la terre où tu dors, à toi et à ta semence ; et ta semence sera comme la poussiere de la terre [1] : je te donnerai l’occident, l’orient, le nord et le midi : toutes les nations seront bénies en toi, et en ta semence : je serai ton conducteur par-tout où tu iras. Jacob s’étant éveillé, dit : vraiment le seigneur est en ce lieu, et je n’en savais rien ; et tout épouvanté il dit : que ce lieu est terrible ! C’est la maison de Dieu, et la porte du ciel. Jacob, se levant donc le matin, prit la pierre qu’il avait mise sous sa tête ; il l’érigea en monument, répandant de l’huile sur elle ; il appella Béthel la ville qui se nommait auparavant Luz [2]

  1. les savants critiques en histoires anciennes remarquent que toutes les nations avaient des oracles, des prophéties, et même des talismans, qui leur assuraient l’empire de la terre entiere. Chacune appellait l’univers le peu qu’elle connaissait autour d’elle. Et depuis l’Euphrate jusqu’à la mer Méditerranée, et même dans la Grece, tout peuple qui avait bâti une ville l’appellait la ville de dieu, la ville sainte, qui devait subjuguer toutes les autres. Cette superstition s’étendit ensuite jusques chez les romains. Rome eut son bouclier sacré qui tomba du ciel, comme Troye eut son palladium. Les hébreux, n’ayant alors ni ville, ni même aucune possession en propre, et étant des arabes vagabonds, qui paissaient quelques troupeaux dans des déserts, virent Dieu au haut d’une échelle ; et ces visions de Dieu, qui leur parlait au plus haut de cette échelle, leur tinrent lieu des oracles et des monumens dont les autres peuples se vanterent. Dieu daigna toujours se proportionner, comme nous l’avons déjà dit, à la simplicité grossiere et barbare de la horde juive, qui cherchait à imiter, comme elle pouvait, les nations voisines. (Note de Voltaire.) * Voyez ci-dessus, page 4.
  2. il n’y avait alors ni ville de Luz, ni ville de Béthel dans ce désert. Béthel signifie en chaldéen habitation de Dieu, comme Babel, Balbec, et tant d’autres villes de Syrie. C’est ce qui a fait croire à plusieurs critiques que la genese fut écrite longtemps après l’établissement des arabes hébreux dans la Palestine. Beth étant un mot qui signifie habitation, il y a un nombre prodigieux de villes, dont le nom commence par beth .

    à l’égard de la pierre servant de monument, c’est encore un usage de la plus haute antiquité. On appellait ces monumens grossiers béthilles , soit pour mar-