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DIALOGUES

et ces champs, après plusieurs labours qui excèdent les hommes et les animaux, rapportent dix pour un dans les meilleures années, d’ordinaire cinq ou six, quelquefois trois. Quand cette chétive moisson est faite, on est obligé de battre les gerbes à grands coups de levier, et d’en perdre une partie dans ce rude travail.

Ces travaux n’ont encore rien avancé pour la nourriture de l’homme. Il faut porter ce grain chétif à ceux qui l’arrosent de leur sueur en l’écrasant sous la meule à force de bras. Ce n’est encore rien si dans cet état on ne l’expose au feu dans des antres voûtés, où trop de chaleur peut le pulvériser, et où trop peu n’en ferait qu’une pâte inutile.

C’est donc là ce pain dont Cérès a gratifié les hommes, ou plutôt qu’elle leur a fait acheter si chèrement ! Il ne ressemble pas plus au grain dont il est formé, qu’une robe d’écarlate ne ressemble au mouton dont elle est tirée. Ce qui surtout est déplorable, c’est que le laboureur ne jouit qu’à peine du fruit de tant de travaux. Ce n’est pas pour lui que l’habitant des rives du Danube et du Borysthene a semé : c’est pour le barbare qui s’est emparé de son pays sans savoir comment le blé germe en terre ; c’est pour le druide ou pour le lama, qui de la part du ciel exige une partie de la récolte, en attendant qu’il déflore ou qu’il sacrifie sur l’autel la fille du bonhomme dont il dévore la subsistance.

Du moins vous m’avouerez que les mathématiciens qui ont inventé le moulin à vent ont soulagé le malheureux cultivateur de la plus rude de ses peines.

Callicrate.

Je ne doute pas que la mode des moulins à vent ne prenne bientôt faveur chez tous les peuples qui mangent du pain, et qu’ils ne bénissent la philosophie. Continuez, je vous prie, de m’instruire des nouvelles inventions de vos barbares.

Évhémère.

Je vous ai déjà dit qu’ils avaient donné des yeux à ceux qui n’en avaient point : ils ont aidé les vieillards à lire[1] ; ils ont fait voir à tous les hommes des étoiles[2] qui leur avaient toujours été cachées ; et ces bienfaits, diversifiés admirablement, ne sont que la suite d’un théorème connu en Grèce, que l’angle d’incidence est égal à l’angle de réflexion.

  1. Les lunettes ; voyez tome XII, page 54 ; et XXV, 456.
  2. Le télescope, inventé par Galilée et perfectionné depuis.