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DIALOGUES

l’immensité de l’espace, un branle de vingt-quatre heures chaque jour, pour nous amuser ! Cette ridicule chimère est fondée sur deux défauts de la nature humaine, auxquels aucun philosophe grec n’a jamais pu remédier, la faiblesse de nos petits yeux et l’enflure de notre orgueil : nous croyons voir les étoiles et notre soleil marcher, parce que nous avons la vue mauvaise ; et nous croyons que tout cela est fait pour nous, parce que nous sommes vains.

Notre Sarmate Perconic a soutenu son système avant de le publier par écrit. Il a bravé la haine des druides, qui prétendaient que cette vérité ferait grand tort au gui de chêne[1]. De vrais savants lui ont fait une objection qui aurait embarrassé un homme moins persuadé et moins ferme que lui. Il assurait que la terre et les planètes faisaient leur révolution périodique en des temps différents autour du soleil. « Nous marchons, disait-il, Vénus, Mercure, et nous, autour du soleil, chacun dans notre cercle. — Si cela était, lui disaient ces savants, Vénus et Mercure devraient vous montrer des phases semblables à celles de la lune. — Aussi en ont-ils, répondait le Sarmate ; et vous les verrez quand vous aurez de meilleurs yeux. »

Il est mort sans avoir pu leur donner les nouveaux yeux dont ils avaient besoin.

Un plus grand homme, nommé Leéliga[2], né chez les Étruriens nos voisins, a trouvé ces yeux qui devaient éclairer toute la terre. Ce barbare, plus poli, plus philosophe, et plus industrieux que tous les Grecs, sur le simple récit qu’on lui a fait d’un badinage d’enfants, a taillé et arrangé des cristaux avec lesquels on voit de nouveaux cieux : il a démontré à la vue ce que le Sarmate avait si bien deviné. Vénus s’est montrée avec les mêmes phases que la lune ; et si Mercure n’en a pas fait autant, c’est qu’il est trop plongé dans les rayons du soleil.

Notre Étrurien a fait plus : il a découvert de nouvelles planètes. Il a vu et fait voir que ce soleil, qui se levait, disait-on, comme un époux et comme un géant pour courir sa voie[3], ne sort jamais de sa place, et tourne seulement sur lui-même en vingt-cinq et demi de nos jours, comme nous tournons en vingt-quatre heures. Les hommes ont été étonnés d’apprendre dans l’Occident ce secret de la création, qu’on n’avait jamais su dans l’Orient. Les

  1. Voyez Josué, chapitre x, versets 12, 13, et 14 ; et IV, Rois, chapitre xx, versets 9. 10, 11. (Cl.)
  2. Galilée.
  3. Psaume xviii, verset 6.