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DIALOGUES
Évhémère.

Renoncez donc à votre Épicure, qui a fondé sa philosophie sur cette absurde méprise. Il a prétendu que les hommes venaient originairement de la pourriture, comme les rats d’Égypte, et que la crotte leur tenait lieu d’un Dieu créateur.

Callicrate.

J’en suis un peu honteux pour lui ; mais revenez, je vous prie, à votre Aristote : il a, ce me semble, comme tous les autres hommes, mêlé maintes erreurs avec quelques vérités.

Évhémère.

Hélas ! il en a tant mêlé qu’en parlant des animaux nés par hasard, il dit expressément : « Quand la chaleur naturelle est chassée, ce qui se sépare de la corruption s’efforce de s’unir aux petites molécules qui sont prêtes à recevoir la vie par l’action du soleil ; et c’est ainsi que sont engendrés les vers, les guêpes, les puces, et les autres insectes. » Je lui sais bon gré du moins de n’avoir pas placé l’homme dans le rang de ces guêpes, de ces puces, nées si fortuitement.

Je souscris volontiers à tout ce qu’il dit sur les devoirs de l’homme. Sa morale me paraît aussi belle que sa rhétorique et sa poétique ; mais je n’ai pu le suivre dans ce qu’il appelle sa métaphysique, et quelquefois sa théologie. L’être qui n’est qu’être, la substance qui n’a qu’une essence, les dix catégories, m’ont paru d’inutiles subtilités : c’est en général l’esprit de la Grèce ; j’en excepte Démosthène et Homère. Le premier ne présente jamais à ses auditeurs que des raisons fortes et lumineuses ; le second n’offre à ses lecteurs que de grandes images ; mais la plupart des philosophes grecs sont plus occupés des mots que des choses. Ils s’enveloppent dans une multitude de définitions qui ne définissent rien, de distinctions qui ne développent rien, d’explications qui n’éclaircissent rien, ou bien peu de chose.

Callicrate.

Faites donc ce qu’ils n’ont point fait ; expliquez-moi ce qu’Aristote n’explique point sur l’âme.

Évhémère.

Je vais donc vous dire ce qu’il disait, sans l’expliquer ; et je vous réponds que vous ne m’entendrez pas, car je ne m’entendrai pas moi-même :

« L’âme est quelque chose de très-léger ; elle ne se meut point elle-même ; elle est mue par les objets. Elle n’est point, comme tant d’autres l’ont supposé, une harmonie, car elle éprouve continuellement la discordance des sentiments contraires. Elle n’est