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D’ÉVHÉMÈRE.

Locrien[1]. Timée les avait prises chez Pythagore, et Pythagore les tenait, dit-on, des brachmanes.

Il est difficile de pousser plus loin le charlatanisme ; cependant Platon se surpasse encore en ajoutant de son chef que Dieu, ayant consulté son Verbe, c’est-à-dire son intelligence, sa parole, qu’il appelle le fils de Dieu, il fit le monde, composé de la terre, du soleil et des planètes. Il le divinisa aussi en lui donnant une âme : tout cela forma la fameuse trinité de Platon. Et pourquoi cet univers était-il Dieu ? C’est qu’il était rond, et que la rondeur est la figure la plus parfaite.

Il explique toutes les perfections ou imperfections de ce monde avec autant de facilité qu’il vient de le créer. La manière surtout dont il prouve l’immortalité de l’âme humaine, dans son Phédon, est d’une clarté merveilleuse :

« Ne dites-vous pas que la mort est le contraire de la vie ? — Oui. — Et qu’elles naissent l’une de l’autre ? — Oui. — Qu’est-ce qui naît du vivant ? — Le mort. — Et qui naît du mort ? — Le vivant. — C’est donc des morts que tous les vivants naissent, et par conséquent les âmes des hommes sont dans les enfers après leur trépas ? — La conséquence est sûre[2]. »

C’est ainsi que Platon fait raisonner Socrate dans ce dialogue du Phédon. L’histoire rapporte que Socrate, ayant lu cet écrit, s’écria : « Que de sottises notre ami Platon me fait dire ! »

Si on avait montré à Dieu tout ce que ce Grec lui impute, il aurait probablement dit: « Que de sottises ce Grec me fait faire ! »

Callicrate.

En vérité, Dieu aurait assez de raison de se moquer un peu de lui. Je relisais hier son dialogue intitulé le Banquet. Je riais beaucoup de voir que Dieu avait créé l’homme et la femme attachés ensemble par le nombril, et que cependant l’un était derrière le dos de l’autre. Ils n’avaient à eux deux qu’une cervelle, et chacun un visage. Cela s’appelait un androgyne : cet animal était si fier d’avoir quatre bras et quatre jambes qu’il voulut faire la guerre au ciel, comme les Titans. Dieu, pour le punir, le coupa en deux ; et c’est depuis ce temps que chacun court après sa moitié, qu’il trouve rarement. Il faut avouer que cette idée de courir toujours après sa moitié est ingénieuse et plaisante ; mais cette plaisanterie est-elle digne d’un philosophe ? La fable de

  1. Voyez l’article Trinité, tome XX, page 536.
  2. Voyez une note des éditeurs de Kehl sur Platon et sur Aristote, dans l’ouvrage intitulé Songe de Platon, tome XXI, page 133.