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DIALOGUES

aux athées ; toute secte qui admet la plénitude de la puissance divine la charge des délits quelle n’empêche pas. Elle dit à Dieu : « Seigneur souverain de tout, vous devez écarter tout mal ; c’est votre faute si vous laissez entrer l’ennemi dans la place que vous avez bâtie. » Dieu lui répond : « Ma fille, je ne peux faire les choses contradictoires ; il est contradictoire que le mal n’existe pas quand le bien existe ; il est contradictoire qu’il y ait du feu, et que ce feu ne puisse causer d’embrasement ; qu’il y ait de l’eau, et que cette eau ne puisse noyer un animal.

Callicrate.

Trouvez-vous cette solution bien suffisante ?

Évhémère.

Je n’en connais point de meilleure.

Callicrate.

Prenez garde, on vous dira que les adorateurs des dieux ont raisonné plus conséquemment que vous en Égypte et en Grèce, quand ils ont inventé un Tartare où les crimes sont punis : alors la justice divine est justifiée.

Évhémère.

Étrange manière de justifier leurs dieux ! Et quels dieux ! des adultères, des homicides, des chats, et des crocodiles ? Il s’agit ici de savoir pourquoi le mal existe. Vos Grecs, vos Égyptiens, en rendent-ils raison ? en changent-ils la nature ? en adoucissent-ils les horreurs en nous présentant une série de crimes et de tourments éternels ? Ces dieux ne sont-ils pas des monstres de barbarie d’avoir fait naître un Tantale pour qu’il mangeât son fils en ragoût, et pour qu’il fût ensuite dévoré de faim en demeurant à table dans une suite infinie de siècles ? Un autre prince tourne incessamment sa roue entourée de serpents ; quarante-neuf filles d’un autre roi ont égorgé leurs maris, et remplissent un tonneau vide pendant l’éternité. Certes il eût bien mieux valu que ces quarante-neuf filles, et tous ces princes damnés, n’eussent jamais été au monde : rien n’était plus aisé que de leur épargner l’existence, les crimes, et les supplices. Vos Grecs peignent leurs dieux comme des tyrans et des bourreaux immortels, occupés sans relâche à former des malheureux condamnés à commettre des crimes passagers, et à subir des supplices sans fin. Vous m’avouerez que cette théologie est bien infernale. Celle des épicuriens est plus humaine ; mais j’ose croire que la mienne est plus divine : mon Dieu n’est ni un voluptueux indolent comme ceux d’Épicure, ni un monstre barbare comme ceux de l’Égypte et de la Grèce.