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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 443

en exceptez Lucrèce, dont l'histoire n'est pas bien avérée, aucun Romain de marque n'a-t-il eu une assez forte spleen pour attenter à sa vie? Et pourquoi ensuite, dans l'espace de si peu d'années, Caton d'Utique, Crutus, Cassius, Antoine, et tant d'autres, don- nèrent-ils cet exemple au monde? N'y a-t-il pas quoique autre raison que le climat qui rendit ces suicides si communs?

Montesquieu dit dans ce livre (cliap, xv) que le climat de l'Inde est si doux que les lois le sont aussi. « Ces lois, dit-il, ont donné les neveux aux oncles, les orphelins aux tuteurs, comme on les donne ailleurs à leurs pères. Ils ont réglé la succession par le mérite reconnu du successeur. Il semble qu'ils ont pensé que chaque citoyen devait se reposer sur le bon naturel des autres.... Heureux climat, qui fait naître la candeur des mœurs et produit la douceur des lois! »

Il est vrai que dans vingt endroits l'illustre auteur peint le vaste pays de l'Inde et tous les pays de l'Asie comme des États monarchiques ou despotiques, dans lesquels tout appartient au maître, et où les sujets ne connaissent point la propriété ; de sorte que, si le climat produit des citoyens si honnêtes et si bons, il y fait des princes bien rapaces et bien tyrans. Il ne s'en sou- vient plus ici ; il copie la lettre d'un jésuite nommé Bouchet au président Cochet, insérée dans le quatorzième recueil des Lettres curieuses et édifiantes; et il copie trop souvent ce recueil. Ce Bou- chet, dès qu'il est arrivé à Pondichéry, avant de savoir un mot de la langue du pays S répète à M. Cochet tous ces contes, qu'il a entendu faire à des facteurs. J'en crois plus volontiers le colonel Scrafton , qui a contribué aux conquêtes du lord CliA'e, et qui a joint à la franchise d'un homme de guerre une intelligence pro- fonde de la langue des brames.

Voici ses paroles, que j"ai citées ailleurs- :

« Je vois avec surprise tant d'auteurs assurer que les posses- sions des terres ne sont point héréditaires dans ce pays, et que l'empereur est l'héritier universel. Il est vrai qu'il n'y a point d'actes de parlement dans l'Inde, point de pouvoir intermédiaire

1. J'ai connu autrefois ce Bouchet : c'était un imbécile, aussi bien que frère Courbeville, son compagnon. Il a vu des femmes indiennes prouver leur fidélité à leurs maris en plongeant une main dans l'huile bouillante sans se brûler. Il ne savait pas que le secret consiste à verser l'eau dans le vase longtemps avant l'huile, et que l'huile est encore froide quand l'eau qui bout soulève l'huile à gros bouillons. Il répète l'histoire des deux Sosies pour prouver le christianisme aux brames. (?\ote de Voltaire.)

— Voltaire a parlé du jésuite Bouchet, tome XXIX, page 185.

2. Fragments sur Vlnde, tome XXIX, page 102.

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