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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 441

le monde, et qui n'arrivera peut-être jamais, etc. » (liv. XXX, chap. i), quoique la féodalité, les bénéfices militaires, aient été établis en différents temps et sous différentes formes, sous Alexandre Sévère, sous les rois lombards, sous Cbarlemagne, dans l'empire ottoman, en Perse, dans le Mogol, au Pégu, en Russie, et que les voyageurs en aient trouvé des traces dans un grand nombre des pays qu'ils ont découverts ;

Que « chez les Germains il y avait des vassaux, et non pas des fiefs : les fiefs étaient des chevaux de bataille, des armes, des repas » (liv, XXX, chap. m) ;

Quelle idée! il n'y a point de vassalité sans terre. Un officier à qui son général aura donné à souper n'est pas pour cela son vassal,

« Qu'en Espagne on a défendu les étoffes d'or et d'argent : un pareil décret serait semblable à celui que feraient les états de Hollande s'ils défendaient la consommation de la cannelle » (liv. XXI, chap, xxii) ;

On ne peut faire une comparaison plus fausse, ni dire une chose moins politique. Les Espagnols n'avaient point de manufac- tures, ils auraient été obligés d'acheter ces étoffes de l'étranger. Les Hollandais, au contraire, sont les seuls possesseurs de la cannelle : ce qui était raisonnable en Espagne, suivant les opi- nions alors reçues, eût été absurde en Hollande.

Je n'entrerai point dans la discussion de l'ancien gouverne- ment des Francs, vainqueurs des Gaulois; dans ce chaos de cou- tumes toutes bizarres, toutes contradictoires ; dans Toxamcn de cette barbarie, de cette anarchie qui a duré si longtemps, et sur lesquelles il y a autant de sentiments différents que nous en avons en théologie. On n'a perdu que trop de temps à descendre dans ces abîmes de ruines, et l'auteur de l'Esprit des Lois a dû s'y égarer comme les autres.

Toutes les origines des nations sont l'obscurité même, comme tous les systèmes sur les premiers principes sont un chaos de fables. Lorsqu'un aussi beau génie que lAIontesquieu se trompe, je m'enfonce dans d'autres erreurs en découvrant les siennes : c'est le sort de tous ceux qui courent après la vérité ; ils se heurtent dans leur course, et tous sont jetés par terre. Je respecte Mon- tesquieu jusque dans ses chutes, parce qu'il se relève pour mon- ter au ciel. Je vais continuer ce petit commentaire pour m'instruire en l'étudiant sur quelques points, non pour le critiquer : je le prends pour mon guide, non pour mon adversaire.

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