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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 427

Ja vanité, l'ambition de son voisin ; chacun obéit volontiers aux lois pour lesquelles il a donné son suffrage; on aime l'État dont on est seigneur pour un cent-millième, si la république a cent mille bourgeois. Il n'y a là aucune vertu. Quand Genève secoua le joug de son comte et de son évêque, la vertu ne se mêla point de cette aventure. Si Raguse est libre, qu'elle n'en rende point grâce à la vertu, mais à vingt-cinq mille écus d'or qu'elle paye tous les ans à la Porte-Ottomane. Que Saint-Marin remercie le pape de sa situation, de sa petitesse, de sa pauvreté. S'il est vrai que Lucrèce ( chose fort douteuse) ait fait chasser les rois de Rome pour s'être tuée après s'être laissé violer, il y a de la vertu dans sa mort, c'est-à-dire du courage et de l'honneur, quoiqu'il y eût un peu de faiblesse à laisser faire le jeune Tarquin. Mais je ne vois pas que les Romains fussent plus vertueux en chassant Tarquin le Superbe que les Anglais ne l'ont été en renvoyant Jacques II. Je ne conçois pas même qu'un Grisou, ou un bour- geois de Zug, doive avoir plus de vertu qu'un homme domicilié à Paris ou à Madrid.

Quant à la ville d'Athènes, j'ignore si Cécrops fut son roi dans le temps qu'elle n'existait pas. J'ignore si Thésée le fut avant ou après qu'il eut fait le voyage de l'enfer. Je croirai, si l'on veut, que les Athéniens eurent la générosité d'abolir la royauté dès que Codrus se fut dévoué pour eux. Je demande seulement si ce roi Codrus, qui se sacrifie pour son peuple, n'avait pas quelque vertu. En vérité, toutes ces questions subtiles sont trop délicates pour avoir quelque solidité. Il faut le redireS c'est de l'esprit sur les lois.

XXIX.

« Dans les monarchies il ne faut point de censeurs. Elles sont fondées sur l'honneur ; et la nature de l'honneur est d'avoir pour censeur tout l'univers, » (Page 79, liv. V, chap. xix.)

Que signifie cette maxime? Tout homme n'a-t-il pas pour cen- seur l'univers, en cas qu'il en soit connu? Les Grecs même, du temps de leur Sophocle, jusqu'à celui de leur Aristote, crurent que l'univers avait les yeux sur eux. Toujours de l'esprit ; mais ce n'est pas ici sur les lois 2.

1. Voyez ci-dessus, paragraphe xix, page 420.

2. La censure est très-bonne, en général, pour maintenir dans un peuple les préjugés utiles à ceux qui gouvernent, pour conserver dans un corps tous les vices qui naissent de l'esprit de corps : la censure fut établie à Rome par le sénat pour contre-balancer le pouvoir des tribuns. Elle était un instrument de

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