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frère, pour t’acheter un voile ; et partout où tu iras, souviens-toi que tu y as été prise[1].

Or Dieu avait fermé toutes les vulves[2] à cause de Sara, femme d’Abraham ; et, à la prière d’Abraham, Dieu guérit Abimélech, et sa femme, et ses servantes, et elles enfantèrent.

Or Dieu visita Sara comme il l’avait promis, et elle enfanta un fils dans sa vieillesse, dans le temps que Dieu avait prédit, et Abraham nomma ce fils Isaac… et il le circoncit le huitième jour comme Dieu l’avait ordonné, et il avait alors cent ans[3].

L’enfant prit sa croissance, et il fut sevré ; mais, Sara voyant le fils d’Agar l’Égyptienne jouer avec son fils Isaac, elle dit à Abraham : Chassez-moi cette servante avec son fils ; car le fils de cette servante n’héritera point avec mon fils Isaac ; et Abraham, ayant consulté Dieu, se leva du matin, et, prenant du pain et une outre d’eau, les mit sur l’épaule d’Agar, et la renvoya ainsi, elle et son fils[4] ; et Agar s’en alla errante dans le désert de Bersabée ; et l’eau

  1. Si la conduite d’Abraham paraît extraordinaire, si sa crainte d’être tué à cause de la beauté d’une femme nonagénaire paraît la chose du monde la plus chimérique, la conduite du chef des Arabes de Gérare paraît bien généreuse, et son discours très-sage. Mais pourquoi Abraham dit-il les dieux, et non pas Dieu ; Éloîm, et non pas Éloï ? Les commentateurs disent que c’est parce que trois Éloim lui étaient apparus, et non pas un seul Éloï ou Éloa. (Note de Voltaire.)
  2. Il faut que ce roi du désert ait retenu Sara longtemps, pour que ces femmes se soient aperçues qu’elles avaient toutes la matrice fermée, et qu’elles ne pouvaient enfanter. La maladie dont elles furent affligées n’est pas spécifiée. On ne sait si Dieu se contenta de les rendre stériles, ce dont on ne peut être assuré qu’au bout de quelques années ; ou si Dieu les rendit inhabiles à recevoir les embrassements d’Abimélech. Cette expression fermer la vulve peut signifier l’un et l’autre. Mais, dans les deux cas, il paraît qu’Abimélech voulut leur rendre ou leur rendit le devoir conjugal, et qu’il n’était point tenté de donner la préférence à une femme de quatre-vingt-dix ans. Tout cela est, encore une fois, un grand sujet de surprise, et un grand objet de la soumission de notre entendement. (Id.)

    * C’est tome XVII, page 31, que Voltaire a cité saint Étienne pour l’âge d’Abraham. Voyez aussi ci-dessus, page 25.

  3. . Nous avons déjà dit qu’en supputant le temps où Abraham naquit, il devait avoir cent soixante ans au moins, au rapport de saint Etienne*, et selon la lettre du texte. Mais selon le cours de la nature humaine, il est aussi rare de faire des enfants à cent ans qu’à cent soixante. Aussi la naissance d’Isaac est un miracle évident, puisque Sara n’avait plus ses règles lorsqu’elle devint grosse. (Id.)
  4. Si Abraham était un seigneur si puissant, s’il avait été vainqueur de cinq rois avec trois cent dix-huit hommes de l’élite de ses domestiques, si sa femme lui avait valu tant d’argent de la part du roi d’Égypte et du roi de Gérare, il paraît bien dur et bien inhumain de renvoyer sa concubine et son premier né dans le désert, avec un morceau de pain et une cruche d’eau, sous prétexte que ce premier né jouait avec le fils de Sara. Il exposa l’un et l’autre à mourir dans le désert. Il fallut que Dieu lui-même montrât un puits à Agar pour l’empêcher de mourir. Mais comment tirer l’eau de ce puits ? Lorsque les Arabes vagabonds