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368 LETTRE

Toix de toutes les nations. D'où vient ce concert éternel? Il y a donc un bon et un mauvais goût.

On souhaite, avec justice, que ceux de Messieurs les acadé- miciens qui ont fait une étude sérieuse du théâtre veuillent bien nous instruire sur les questions que nous avons proposées. Qu'ils jugent si la nation qui a produit Iphigénie QtAthalic doit les aban- donner, pour voir sur le théâtre des hommes et des femmes qu'on étrangle, des crocheteurs, des sorciers, des bouffons, et des prêtres ivres ; si notre cour, si longtemps renommée pour sa po- litesse et pour son goût, doit être changée en un cabaret de bière et de brandevin ; et si le palais d'une vertueuse souveraine doit être un lieu de prostitution.

^ Il n'est aucune tragédie de Shakespeare où l'on ne trouve de telles scènes : j'ai vu mettre de la bière et de l'eau-de-vie sur la table dans la tragédie d'Hamlet; et j'ai vu les acteurs en boire. César, en allant au Capitole, propose aux sénateurs de boire un coup avec lui. Dans la tragédie de Clèopâtre, on voit arriver sur le rivage de Misène la galère du jeune Pompée ; on voit Auguste, Antoine, Lépide, Pompée, Agrippa, Mécène, boire ensemble. Lépide, qui est ivre, demande à Antoine, qui est ivre aussi, com- ment est fait un crocodile : « Il est fait comme lui-même, répond Antoine ; il est aussi large qu'il a de largeur, et aussi haut qu'il a de hauteur; il se remue avec ses organes; il vit de ce qui le nourrit, etc. » Tous les convives soijt échauffés de vin ; ils chantent en chorus une chanson à boire, et Auguste dit, en balbutiant, qu'il aimerait mieux jeûner quatre jours que de trop boire en un seul.

- Je crains, messieurs, de lasser votre patience ; je finis parce trait : il y a une tragédie de ce grand Shakespeare, intitulée Troïlus, ou la Guerre de Troie. Troïlus, fils de Priam, commence la pièce par avouer k Pandare qu'il ne peut aller à la guerre, parce qu'il est amoureux comme un fou de Cresside. « Que tous ceux qui ne sont point amoureux, dit-il, se battent tant qu'ils vou- dront; pour moi, je suis plus faible qu'une larme de femme, plus doux qu'un mouton, plus enfant et plus sot que l'ignorance elle-même, moins vaillant qu'une pucelle pendant la nuit, et plus simple qu'un enfant qui ne sait rien faire Ses yeux,

��1. Dans les éditions antérieures à celle de Lequien, cet alinéa formait une note, et commençait ainsi : « Il est peu de pièces de Shakespeare. »

2. Tout ce qui suit jusqu'à l'avant-dernier alinéa a paru dans l'édition de

Lequien.

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