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A M. DU M***. 347

Vous étonnerez peut-être encore plus votre monde quand vous raconterez l'origine de la fameuse querelle d'Âaron avec Datan, Coré, et Abiron, écrite par un Juif qui était apparem- ment le loustig^ de sa tribu. C'est peut-être le seul Juif qui ait su railler. Son livre n'est pas de l'antiquité des premiers brach- manes; mais enfin il est ancien, et peut-être plus ancien qu'Ho- mère. Les Juifs d'Italie le firent imprimer dans Venise au xv*' siècle, et le célèbre Gaulmin, conseiller d'État, l'enrichit de notes en latin. Fabricius les a insérées dans sa traduction latine - de la Vie et de la Mort de Moïse, autre ancien ouvrage plus que rab- binique, écrit, à ce qu'on a prétendu, vers le temps d'Esdras. Je vais faire copier le passage qui se trouve au livre II, page 165, nombre 297, édition de Hambourg.

« Ce fut une pauvre veuve qui fut la cause de la querelle. Cette femme n'avait pour tout bien qu'une brebis, et elle la ton- dit. Aaron vint, et lui dit : a II est écrit que les prémices appar- « tiendront au Seigneur; » et il prit la laine. La veuve, en pleurs, alla se plaindre à Coré, qui fit des remontrances au prêtre Aaron. Elles furent inutiles. Coré donna quatre pièces d'argent à la pauvre femme, et se retira très-irrité. Peu de temps après, la brebis mit bas son premier agneau. Aaron revient : « Ma bonne, <( il est écrit que les premiers-nés sont au Seigneur. » Il emporte l'agneau, et le mange. Nouvelles remontrances de Coré, aussi mal reçues que les premières. La veuve, désespérée, tue sa brebis. Voilà aussitôt Aaron chez elle. Il prend la mâchoire, l'épaule, et le ventre de la brebis. Coré se fâche contre lui ; Aaron répond que cela est écrit, et qu'il veut manger cette épaule et le ventre. La veuve, outrée, jura, et dit: d Au diable ma brebis. » Aaron, qui l'entendit, revint encore, disant: (dl est écrit que tout anathème « est au Seigneur, » et soupa des restes de la pauvre bête. Telle est la cause de la dispute entre Aaron, d'une part, et Coré, Datan, et Abiron, de l'autre. »

Cette mauvaise plaisanterie a été imitée chez plus d'une nation. Il n'y a pas une seule bonne fable de La Fontaine qui ne vienne du fond de l'Asie: vous en retrouverez même parmi les Tartares. Je me souviens d'avoir lu autrefois, dans le Recueil des voyages de

1. Mot allemand qui signifie joyeux.

2. Jean-Albert Fabricius n'est pas l'auteur de la traduction latine; le tra- ducteur est Gilbert Gaulmin, ainsi que Voltaire lui-même l'a dit tome XVII, page 295; et dans une de ses notes sur la Genèse, vers la fin (voyez ci-dessus page 65). Fabricius ne fut qu'éditeur de la réimpression faite à Hambourg, 1714, in-8°.

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