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346 A M. DU M***.

J'ai rapporté, dans un de mes inutiles ouvrages *, la fable dont ^lolière a composé son Amphitryon, imité de Plante, qui l'avait imité des Grecs ; l'original est indien. Le voici à peu près tel qu'il a été traduit par le colonel Dow, très-instruit dans la langue sacrée qu'on parlait il y a douze à quinze mille ans sur le Lord du Gange, vers la ville de Bénarès, à vingt lieues de Calcutta, chef-lieu de la compagnie anglaise.

Le savant colonel Doav s'exprime donc à peu près ainsi : Un Indou d'une force extraordinaire avait une très-belle femme ; il en fut jaloux, la battit, et s'en alla. Un égrillard de dieu, non pas un Brama, ou un Vistnoii, ou un Sib, mais un dieu du bas étage, et cependant fort puissant, fait passer son àme dans un corps entièrement semblable k celui du mari fugitif, et se pré- sente sous cette figure à la dame délaissée. La doctrine de la métempsycose rendait cette supercherie vraisemblable. Le dieu amoureux demande pardon h sa prétendue femme de ses empor- tements, obtient sa grâce, couche avec elle, lui fait un enfant, et reste le maître de la maison. Le mari, repentant et toujours amoureux de sa femme, revient se jeter à ses pieds : il trouve un autre lui-même établi chez lui. 11 est traité par cet autre d'im- posteur et de sorcier. Cela forme un procès tout semblable à celui de notre Martin Guerre. L'affaire se plaide devant le parlement de Bénarès. Le premier président était un brachmane qui de- vina tout d'un coup que l'un des deux maîtres de la maison était une dupe, et que l'autre était un dieu. Voici comme il s'y prit pour faire connaître le véritable mari, a Votre époux, madame, dit- il, est le plus robuste de l'Inde; couchez avec les deux parties l'une après l'autre, en présence de notre parlement indien : celui des deux qui aura fait éclater les plus nombreuses marques de valeur sera sans doute votre mari. » Le mari en donna douze, le fripon en donna cinquante. Tout le parlement brame décida que l'homme aux cinquante était le vrai possesseur de la dame. «Vous vous trom- pez tous, répondit le premier président; l'homme aux douze est un héros, mais il n'a pas passé les forces de la nature humaine ; l'homme aux cinquante ne peut être qu'un dieu qui s'est moqué de nous. » Le dieu avoua tout, et s'en retourna au ciel en riant.

Vous m'avouerez que VAmpkitryon indou est encore plus comique et plus ingénieux que VAmphitryon grec, quoiqu'il ne puisse pas être décemment joué sur le théâtre.

l. Fragments historiques sur rinde; voyez tome XXIX, page 186, d'où est extrait textuellement presque tout l'alinéa suivant.

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