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l’eau changée en vin, dont saint Jean seul parle, et que les autres évangélistes omettent. Les critiques se sont trop égayés sur ce miracle. Ils trouverent mauvais que Jésus rebute d’abord sa mere lorsqu’elle lui demande du vin pour les gens de la noce ; qu’il lui dise : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi[1] ? » et que le moment d’après il fasse le prodige demandé. Ils lui reprochent de changer l’eau en vin pour des gens déjà ivres ὅταν μεθυσθῶσι (hotan methusthôsi). Ils disent que tout cela est incompatible avec l’essence suprême et universelle, avec le Dieu éternel et invisible, créateur de tous les êtres.

Mais ils ne songent pas que ce Dieu s’est fait homme, et a daigné converser avec les hommes. Ils ne songent pas que les dieux-mêmes de la fable, s’il est permis de les citer, en firent autant chez Philémon et Baucis longtemps auparavant ; ils remplirent de vin la cruche de ces bonnes gens. On ne conçoit pas après cela comment Mahomet, qui reconnaît Jésus pour un prophete, a pu défendre le vin.

XII. Οἱ δὲ δαίμονες παρεϰάλουν αὐτὸν, λέγοντες· Εἰ ἐϰϐάλλεις ἡμᾶς, ἐπίτρεψον ἡμῖν ἀπελθεῖν εἰς τὴν ἀγέλην τῶν χοίρων. Καὶ εἶπεν αὐτοῖς· Ὑπάγετε.

Et les diables le prièrent, disant : Si tu nous chasses, laisse-nous aller dans le corps de ces cochons. Et il leur dit : Allez, etc. (Matth., ch. viii, v, 31 et 32.)

Il s’agit de l’aventure de ces deux diables, dont Jésus-Christ daigna délivrer deux possédés au bord du lac de Tibériade, que les juifs appellaient la mer. Ces mélancoliques, agités de convulsions, passaient alors chez tous les peuples pour être persécutés par des génies mal-fesants. On les excluait de toute société, comme des enragés ; et cela-même redoublait leur maladie.

Saint Marc et saint Luc ne spécifient ici qu’un seul possédé, et st Matthieu en pose deux. La grande question a été de savoir comment il se trouvait un grand troupeau de cochons dans un pays qui les avait en horreur, dont il était abominable de manger, et dont l’aspect même était une souillure. St Marc dit qu’ils étaient au nombre de deux mille. Si ce troupeau allait à Tyr pour la salaison des viandes sur les vaisseaux, la perte était immense pour les marchands qui les fesaient conduire. Il ne paraît pas aux critiques qu’il fût juste

  1. Jean, ii, 4.