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Sem, frère aîné de Japhet, fut père de tous les enfants d’Héber… Or Arphaxad engendra Salé, qui fut père d’Héber. Héber eut deux fils, dont l’un eut nom Phaleg, parce que la terre fut divisée de son temps, et son frère eut nom Jectan.

Or, la terre n’avait qu’une lèvre, et tout langage était semblable[1]. Les hommes, en partant de l’Orient, trouvèrent les campagnes de Sennaar, et y habitèrent[2] ; et ils se dirent chacun à son voisin : Venez, faisons des briques, cuisons-les par le feu ; et ils prirent des briques au lieu de pierres, et du bitume au lieu de ciment ; et ils dirent : Venez, faisons-nous une cité, et une tour dont le comble touche au ciel, et célébrons notre nom avant que nous soyons divisés dans toutes les terres.

Or le Seigneur descendit pour voir la ville[3] et la tour que les enfants d’Adam bâtissaient ; et il dit : Voilà un peuple qui est tout d’une lèvre ; ils ont commencé cet ouvrage, et ils ne cesseront point jusqu’à ce qu’ils l’aient exécuté. Venez donc, descendons, et confondons leur langage, afin que personne n’entende ce que lui dira son voisin ; et Dieu les sépara ainsi dans toutes les terres, et ils cessèrent de bâtir la cité[4].


    est vrai qu’on ne voit pas comment les descendants de Cham allèrent s’entasser dans cette petite région, au lieu d’occuper les rivages fertiles de l’Afrique, et surtout de l’Égypte ; mais il ne faut point demander compte des œuvres de Dieu. (Note de Voltaire.)

  1. Comment la terre pouvait-elle n’avoir qu’une lèvre ? Comment tous les hommes parlaient-ils une même langue, après que l’auteur a dit que chaque peuple avait sa langue différente ? Et comment tant de peuples purent-ils exister après le déluge, du vivant même de Noé ? L’esprit humain ne peut trouver de solution à ces difficultés. Le seul parti qui reste aux savants est de supposer qu’il y a eu des fautes de copistes ; et la seule ressource des simples et de se soumettre avec vénération. (Id..)
  2. On demande encore comment l’auteur peut dire que tous les hommes partirent de l’Orient après avoir dit qu’ils peuplèrent l’Occident, le Midi et le Nord. (Id.)
  3. Le texte fait effectivement descendre Dieu pour voir cet ouvrage. Les dieux, dans tous les systèmes, descendaient sur la terre pour s’informer de tout ce qui s’y passait, comme des seigneurs qui visitent leur domaine. Ce n’était point une manière de parler, c’était à la lettre ; et cette idée était si commune qu’il n’est pas surprenant que l’auteur sacré s’y soit conformé toujours. (Id.)
  4. Saint Jérôme, dans son commentaire sur Isaïe dit que la tour de Babel avait déjà quatre mille pas de hauteur : ce qui ferait vingt mille pieds si c’étaient des pas géométriques. Elle était donc dix fois plus élevée que les pyramides d’Égypte. Plusieurs auteurs juifs lui donnent encore une plus grande élévation. La Genèse place cette prodigieuse entreprise cent dix-sept ans après le déluge. Si la population du genre humain avait suivi l’ordre qu’elle suit aujourd’hui, il n’y aurait eu ni assez d’hommes, ni assez de temps pour inventer tous les arts nécessaires dont un ouvrage si immense exigeait l’usage. Il faut donc regarder cette aventure comme un prodige, ainsi que celle du déluge universel. Un prodige non moins grand est la formation subite de tant de langues. Les