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fabuleux, comme celle de tous les héros et de toutes les nations antiques. Il est encore plus triste que ces fables soient répétées de nos jours, et même par des compilateurs estimables. à commencer par l’avénement d’Alexandre au trône de Macédoine, je ne puis lire sans scrupule dans Prideaux[1], que Philippe, pere d’Alexandre, fut assassiné par un de ses gardes qui lui avait demandé inutilement justice contre un de ses capitaines, par lequel il avait été violé . Quoi donc ! Un soldat est assez intrépide, assez furieux pour poignarder son roi, au milieu de ses courtisans ; et il n’a ni assez de force, ni assez de courage pour résister à un vieux sodomite ! Il se laisse violer comme une jeune fille faible de corps et d’esprit ! Mais c’est Diodore De Sicile qui le raconte au bout de trois-cents ans. Diodore dit que ce garde était ivre. Mais, ou il consentit, dans le vin, à cette infamie trop commune chez les thraces ; ou le vin devait exciter sa colere et augmenter ses forces. Ce fut dans l’ivresse qu’Alexandre tua Clitus. Justin copie Diodore ; Plutarque les copie tous deux. Prideaux et Rollin copient de notre temps ces anciens auteurs ; et quelque autre compilateur en fera autant, si des scrupules pareils aux miens ne l’arrêtent. Modernes perroquets, qui répétez des paroles anciennes, cessez de nous tromper en tout genre. Si je voulais connaître Alexandre, je me le représenterais à l’âge de vingt ans, succédant au généralat de la Grece qu’avait eu son pere, soumettant d’abord tous les peuples, depuis les confins de la Thrace jusqu’au Danube, vainqueur des thébains, qui s’opposaient à ses droits de général, conduisant trente-cinq mille soldats aguerris contre les troupes innombrables de ces mêmes perses qui depuis vainquirent si souvent les romains, enfin allant jusqu’à l’Hydaspe dans l’Inde, parce que c’était là que finissait l’empire de Darius. Je regarderais cette guerre mémorable comme très légitime, puisqu’il était nommé par toute la Grece, malgré Démosthene, pour venger tous les maux que les rois de Perse avaient faits si longtemps aux grecs, et qu’il méritait d’eux une reconnaissance éternelle. Je m’étonnerais qu’un jeune héros, dans la rapidité de ses victoires, ait bâti cette multitude de villes, en égypte, en Syrie, chez les scythes et jusques dans les Indes ; qu’il ait facilité le commerce de toutes les nations, et changé toutes ses routes en fondant le port d’Alexandrie. J’oserais lui rendre graces au nom du genre humain. Je douterais de cent particularités qu’on rapporte de sa vie

  1. Histoire des Juifs, livre VII.