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bêtes qui vous auront mangés[1], et je redemanderai l’âme de l’homme de la main de l’homme et de son frère. Quiconque répandra le sang humain, on répandra le sien, car l’homme est fait à l’image de Dieu… Je ferai mon pacte avec vous et avec votre postérité, après vous avec toute âme vivante, tant oiseaux que bêtes de somme, bestiaux, et tout ce qui est sorti de l’arche, et toutes les bêtes de l’univers. Mon pacte avec vous sera de telle sorte que je ne tuerai plus de chair, et qu’il n’y aura plus jamais de déluge… Je mettrai mon arc dans les nuées, et ce sera le signe de mon pacte entre moi et la terre[2]…, et mon arc sera dans les nuées ; et quand je le verrai, je me souviendrai de mon pacte entre moi, Dieu, et toute âme de chair vivante qui est sur la terre…

Et comme Noé était laboureur, il planta une vigne ; et, ayant bu du vin, il s’enivra, et s’étendit tout nu dans sa tente[3]

  1. L’expression qui donne ici une main aux bêtes carnassières, au lieu de griffe, est remarquable ; et l’opinion générale que les bêtes avaient de la raison comme nous n’est pas contestée. Dieu fait ici un pacte avec les bêtes comme avec les hommes. Les tigres, les lions, les ours, et la maison de Jacob, n’ont guère observé ce pacte. Un auteur allemand a écrit que c’était un pacte de famille. C’est pourquoi, dans le Lévitique, on punit également les bêtes et les hommes qui ont commis ensemble le péché de la chair. Aucune bête ne pouvait travailler le jour du sabbat l’Ecclésiaste dit que « les hommes sont semblables aux bêtes, qu’ils n’ont rien de plus que les bêtes ». Jonas dans Ninive fait jeûner les hommes et les bêtes, etc. On voit même que les bêtes parlaient souvent comme les hommes dans toute l’antiquité. (Note de Voltaire.)
  2. Le texte sacré ne dit pas : Mon arc qui est dans les nuées sera désormais le signe de mon pacte ; mais : Je mettrai mon arc dans les nuées ; ce qui suppose qu’auparavant il n’y avait point eu d’arc-en-ciel. C’est ce qui a fait supposer qu’avant le déluge universel il n’y avait point eu encore de pluie, puisque l’arc-en-ciel n’est formé que par les réfractions et les réflexions des rayons du soleil dans les gouttes de pluie. Encore une fois, il est clair que la Bible ne nous a pas été donnée pour nous enseigner la géométrie et la physique*. (Id.)

    * C’est page 4 que le commentateur a déjà dit que l’auteur sacré n’a pas prétendu faire un traité de philosophie et un cours de physique expérimentale ; voyez aussi tome XVII, page 32, et tome XXV, page 365.

  3. Noé ne passa pour être l’inventeur de la vigne que chez les Juifs, car c’était chez toutes les autres nations Bak ou Bacchus qui avait le premier enseigné l’art de faire du vin. Il est surprenant que Noé, le restaurateur du genre humain, ait été ignoré de toute la terre ; mais il est encore plus étrange qu’Adam, le père de tous les hommes, ait été aussi ignoré de tous les hommes que Noé.

    Des commentateurs prétendent que Cham n’avait que dix ans lorsqu’il trouva son père ivre, et qu’il vit ses parties viriles. Mais le texte dit positivement qu’il avait un fils marié, lequel fils est Chanaan, Il semble que l’auteur veuille justifier par là les malédictions portées contre le peuple de Chanaan, et l’irruption des Arabes juifs qui mirent depuis le Chanaan à feu et à sang, et qui exterminèrent dans plus d’un lieu les hommes et les bêtes. L’auteur juif insiste souvent sur cette malédiction portée contre les Chananéens pour s’en faire un droit sur ce