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Les fontaines du grand abîme furent rompues ; les cataractes des cieux s’ouvrirent, et la pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits[1]… Et les eaux prévalurent si fort sur la terre que toutes les hautes montagnes de l’univers sous le ciel en furent couvertes, et l’eau fut plus haute que les montagnes, de quinze coudées… Tous les hommes moururent, et tout ce qui a souffle de vie sur la terre mourut[2]….

Et les eaux couvrirent la terre pendant cent cinquante jours, et alors les fontaines de l’abîme et les cataractes du ciel furent fermées, et les pluies du ciel furent arrêtées… Les quarante jours étant passés, Noé, ouvrant la fenêtre qu’il avait faite à l’arche, renvoya le corbeau, qui sortait et ne revenait point, jusqu’à ce que les eaux se séchassent. Il envoya aussi la colombe, etc[3]

Et Dieu dit à Noé et à ses enfants : Croissez, multipliez, et remplissez la terre. Que tous les animaux de la terre tremblent devant vous, aussi bien que tous les oiseaux du ciel, et tout ce qui a mouvement sur la terre. Je vous ai donné tous les poissons ; et tout ce qui a mouvement et vie sera votre nourriture, aussi bien que les légumes verts ; je vous les ai donnés tous, excepté que vous ne mangerez point leur chair avec leur sang et leur âme : car je redemanderai le sang de vos âmes à la main des

  1. Les critiques incrédules, qui nient tout, nient aussi ce déluge, sous prétexte qu’il n’y a point en effet de fontaines du grand abîme, et de cataractes des cieux, etc., etc. Mais on le croyait alors, et les Juifs avaient emprunté ces idées grossières des Syriens, des Chaldéens, et des Égyptiens. Des accessoires peuvent être faux, quoique le fond soit véritable. Ce n’est pas avec les yeux de la raison qu’il faut lire ce livre, mais avec ceux de la foi. (Note de Voltaire.)
  2. L’eau ne pouvait à la fois s’élever de quinze coudées au-dessus des plus hautes montagnes qu’en cas qu’il se fût formé plus de douze océans l’un sur l’autre, et que le dernier eût été vingt-quatre fois plus grand que celui qui entoure aujourd’hui les deux hémisphères. Aussi tous les sages commentateurs regardent ce miracle comme le plus grand qui ait jamais été fait, puisqu’il fallut créer du néant tous ces océans nouveaux, et les anéantir ensuite. Cette création de tant d’océans n’était pas nécessaire pour le déluge du Pont-Euxin, du temps du roi Xissutre, ni pour celui de Deucalion, ni pour la submersion de l’ile Atlantide. Ainsi le miracle du déluge de Noé est bien plus grand que celui des autres déluges. (Id.)
  3. La même chose est racontée dans le Chaldéen Bérose, de l’arche du roi Xissutre. Les incrédules prétendent que cette histoire est prise de ce Bérose, qui pourtant n’écrivit que du temps d’Alexandre ; mais ils disent que les livres juifs étaient alors inconnus de toutes les nations. Ils disent qu’un aussi petit peuple que les Juifs, et aussi ignorant, qui n’avait jamais fréquenté la mer, devait imiter ses voisins plutôt qu’être imité par eux ; que ses livres furent écrits très-tard ; que probablement Bérose avait trouvé l’histoire de l’inondation du Pont-Euxin dans les anciens livres chaldéens, et que les Juifs avaient puisé à la même source. Tout cela n’est qu’une supposition, une conjecture qui doit disparaître devant l’authenticité des livres saints. (Id.)