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JL'DITH. 253

tôt on la met à quarante lieues au nord de Jérusalem, tantôt à quelques milles au midi ; mais une honnête femme serait encore plus embarrassée à justifier la conduite de la belle Judith. Aller coucher avec un général d'armée pour lui couper la tête, cela n'est pas modeste. Mettre cette tête toute sanglante, de ses mains sanglantes, dans un petit sac, et s'en retourner paisiblement avec sa servante à travers une armée de cent cinquante mille hommes, sans être arrêtée par personne, cela n'est pas commun.

Une chose encore plus rare, c'est d'avoir demeuré cent cinq ans après ce bel exploit dans la maison de feu son mari, comme il est dit au chapitre xvi, v. 28. Si nous supposons qu'elle était âgée de trente ans quand elle fit ce coup vigoureux, elle aurait vécu cent trente-cinq années. Calmet nous tire d'embarras en disant qu'elle en avait soixante-cinq lorsqu'Holopherne fut épris de son extrême beauté : c'est le bel âge pour tourner et pour couper des têtes. Mais le texte nous replonge dans une autre diffi- culté : il dit que personne ne troubla Israël tant qu'elle vécut ; et malheureusement ce fut le temps de ses plus grands désastres.

Quelques partisans de Judith ont soutenu qu'il y avait quel- que chose de vrai dans son aventure, puisque les Juifs célé- braient tous les ans la fête de cette prodigieuse femme. On leur a répondu que quand même les Juifs auraient institué douze fêtes par an à l'honneur de sainte Judith, cela ne prouverait rien.

Les Grecs auraient eu beau célébrer la fête du cheval de Troie, il n'en serait pas moins faux et moins ridicule que Troie eût été prise par ce grand cheval de bois. Presque toutes les fêtes des Grecs et des anciens Romains célébraient des aventures fabuleuses. Cas- tor et Pollux n'étaient point venus du ciel et des enfers pour se mettre à la tête d'une armée romaine, et cependant on fêtait ce beau miracle. On fêtait la vestale Sylvia, à qui le dieu Mars fit deux enfants pendant son sommeil, lorsque les Latins ne con- naissaient ni le dieu Mars ni les vestales. Chaque fable avait sa fête à Rome comme dans Athènes. Chaque monument était une imposture. Plus ils étaient sacrés, et plus il est sûr qu'ils étaient ridicules.

Et sans chercher des exemples trop loin, n'avons-nous pas encore, dans l'Église grecque, la fable des Sept Dormants, et dans l'Église romaine la fable des Onzemille Vierges? Y a-t-il rien de plus célèbre dans notre Occident que l'Epiphanie, et ces trois rois Gaspard, Melchior, et Balthazar, qui viennent à pied des extrémités de l'Orient au village de Bethléem, conduits par une étoile? On en peut dire autant de Judith et d'Holopherne.

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