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Les enfans des prophetes, qui étaient à Jérico, vinrent dire à élisée : ne sais-tu pas que le seigneur doit enlever aujourd’hui élie ? élisée répondit : je le sais ; n’en dites mot… et cinquante enfans des prophetes suivirent élie et élisée jusqu’au bord du Jourdain. Alors élie prit son manteau ; et l’ayant roulé, il en frappa les eaux du Jourdain, qui se diviserent en deux parts ; et élie et élisée passerent à sec. Quand ils furent passés, élie dit à élisée : demande-moi ce que tu voudras avant que je sois enlevé d’avec toi. élisée lui répondit : je te prie que ton double esprit soit fait en moi. élie lui dit : tu me demandes là une chose bien difficile ; cependant, si tu me vois quand je serai enlevé, tu l’auras ; mais si tu ne me vois point, tu ne l’auras pas[1]. Et comme ils continuaient leur chemin en causant ensemble, voici qu’un char de feu et des chevaux de feu descendirent et séparerent élie et élisée ; et élie fut enlevé au ciel dans un tourbillon[2].

    lui-même, et qui n’est que l’instrument du seigneur. Il n’a point fait son marché avec Dieu, comme les sorciers prétendaient en avoir fait un avec le diable.

  1. l’enlévement admirable d’élie au ciel se prépare ; mais d’où ces fils de prophetes le savaient-ils ? Pourquoi élie roule-t-il son manteau ? Pourquoi diviser les eaux du Jourdain, comme avait fait Josué ? Le char de feu, dans lequel élie monta, ne pouvait-il pas l’enlever aussi bien à la droite qu’à la gauche du Jourdain ? nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus. on s’est beaucoup tourmenté pour savoir ce que c’est que ce double soufle, ou ce double esprit, qu’élisée, valet et successeur d’élie, demande à son maitre. Il lui demande un esprit aussi puissant que le sien, un esprit qui en vaut deux ; c’est le duplici panno d’Horace ; c’est, comme nous disons, enfermer à double tour. à l’égard de la réponse d’élie, les commentateurs ne l’ont jamais expliquée. Torniel pense qu’elle signifie : si tu as les yeux assez bons pour me distinguer quand je serai dans mon char de feu environné de lumiere, ce sera signe que tu auras autant de génie que moi ; mais si tu ne peux me voir, ce sera signe que tu seras toujours médiocre. Surquoi Toland dit, que le savant Torniel est encore plus médiocre qu’élisée. Nous n’approuvons pas ces écarts de Toland.
  2. ce char de lumiere, ces quatre chevaux de feu, ce tourbillon dans les airs, ce nom d’élie, ont fait penser au Lord Bolingbroke et à Monsieur Boulanger, que l’avanture d’élie était imitée de celle de Phaëton qui s’assit sur le char du soleil. La fable de Phaëton fut originairement égyptienne : c’est du moins une fable morale, qui montre les dangers de l’ambition. Mais que signifie le char d’élie ? Les écrivains juifs, dit le Lord Bolingbroke, ne sont jamais que des plagiaires grossiers et maladroits.