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saisit d’elle et lui dit : viens, couche avec moi, ma sœur. Elle lui répondit : non, mon frere, ne me violente pas ; cela n’est pas permis dans Israël ; ne me fais pas de sottises ; car je ne pourrais supporter cet opprobre ; et tu passerais pour un fou dans Israël ;… demande-moi plutôt au roi en mariage, et il ne refusera pas de me donner à toi… Amnon ne voulut point se rendre à ses prieres ; étant plus fort qu’elle, il la renversa et coucha avec elle. Et ensuite il conçut pour elle une si grande haine, que sa haine était plus grande que ne l’avait été son amour. Et il lui dit : leve-toi, et va-t-en. Thamar lui dit : le mal que tu me fais à présent, est encore plus fort que le mal que tu m’as fait. Mais Amnon, ayant appellé un valet, lui dit : chasse de ma chambre cette fille, et ferme la porte sur elle…[1]. Absalon, fils de David, ne parla à son frere Amnon de cet outrage ni en bien ni en mal ; mais il le haïssait beaucoup, parce qu’il avait violé sa sœur Thamar… et il donna ordre à ses valets que, dès qu’ils verraient Amnon pris de vin dans un festin, ils l’assassinassent en gens de cœur… les valets firent à Amnon ce qu’Absalon leur avait commandé ; et aussi-tôt tous les enfans du roi s’enfuirent chacun sur sa mule[2].

  1. ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que Thamar dit à son frere, demande-moi en mariage, etc. . Le lévitique défend expressément, au chap 18, de révéler la turpitude de sa sœur. Mais quelques juifs prétendent qu’il était permis d’épouser la sœur de pere, et non pas de mere. C’était tout le contraire chez les athéniens et chez les égyptiens : ils ne pouvaient épouser que leur sœur de mere ; il en fut de-même, dit-on, chez les perses. Il fallait bien que les hébreux fussent dans l’usage d’épouser leurs sœurs ; puisqu’Abraham dit à deux rois, qu’il avait épousé la sienne. Il se peut que plusieurs juifs aient fait depuis comme le pere des croyants disait qu’il avait fait. Le chap 18 du lévitique, après tout, ne défend que de révéler la turpitude de sa sœur ; mais quand il y a mariage, il n’y a plus turpitude. Le lévitique pouvait très bien avoir été absolument inconnu des juifs pendant leurs sept servitudes ; et ce peuple, qui n’avait pas de quoi aiguiser ses serpettes, et qui n’avait eu si longtemps ni feu ni lieu, pouvait fort bien n’avoir point de libraire ; puisqu’on ne trouva que longtemps après le pentateuque sous le melk Josias.
  2. c’est une grande impureté de coucher avec sa sœur ; c’est une extrême brutalité de la renvoyer ensuite avec outrage : mais c’est sans doute un crime encore beaucoup plus grand d’assassiner son frere dans un festin. Il est triste de ne voir que des forfaits dans toute l’histoire de Saül et de David. Tous les freres d’Absalon, témoins de ce fratricide, sortent de table et montent sur leurs mules, comme s’ils craignaient d’être assassinés ainsi que leur frere Amnon : c’est la premiere fois qu’il est parlé de mulets dans l’histoire juive. Tous les princes d’Israël, avant ce temps, sont montés sur des ânes. Le pere Calmet dit, que les mulets de Syrie ne sont pas produits de l’accouplement d’un âne et d’une