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… la femme lui dit : qui voulez-vous que j’évoque ? Saül lui dit : évoque-moi Samuel[1]. Or comme la femme eut vu Samuel, elle cria d’une voix grande : pourquoi m’as-tu trompée ; car tu es Saül ? Le roi lui dit : ne crains rien ; qu’as-tu vu ? Elle répondit, j’ai vu des dieux montants de la terre. Saül lui dit : comment

    était ventriloque, mais elle recevait l’inspiration dans son ventre. Elle s’asseyait sur un triangle de bois ou de fer, une exhalaison qui sortait de la terre, et qui entrait dans sa matrice lui fesait connaître le passé et l’avenir. La réputation de cet oracle pénétra dans l’Asie Mineure, dans la Syrie, et enfin jusques dans la Palestine. Il est très vraisemblable que la pythonisse d’Endor était une de ces gueuses, qui tâchaient de gagner leur vie à imiter comme elles pouvaient la pythie de Delphes. Le texte nous dit donc, que Saül se déguisa pour aller consulter cette misérable. Il n’y a rien que de très ordinaire dans cette conduite de Saül. Nous avons vu dans plusieurs endroits, qu’il n’y a point de pays où la friponnerie n’ait abusé de la crédulité ; point d’histoire ancienne qui ne soit remplie d’oracles et de prédictions. Longtemps avant Balaam on a prédit l’avenir ; depuis Balaam on le prédit toujours ; et depuis Nostradamus on ne le prédit plus gueres.

  1. il y avait un an ou deux que Samuel était mort, lorsque Saül s’adressa à la pythonisse pour évoquer ses manes, son ombre. Mais comment évoquait-on une ombre ? Nous croyons avoir prouvé ailleurs que rien n’était plus naturel, ni plus conforme à la sottise humaine. On avait vu dans un songe son pere, ou sa mere, ou ses amis, après leur mort ; ils avaient parlé dans ce songe ; nous leur avions répondu ; nous avions voulu, en nous éveillant, continuer la conversation, et nous n’avions plus trouvé à qui parler. Cela était désespérant ; car il nous paraissait très certain que nous avions parlé à des morts, que nous les avions touchés ; il y avait donc quelque chose d’eux qui subsistait après la mort, et qui nous avait apparu : ce quelque chose était une ame, c’était une ombre, c’étaient des manes. Mais tout cela s’enfuyait au point du jour ; le chant du coq fesait disparaître toutes les ombres. Il ne s’agissait plus que de trouver quelqu’un d’assez habile pour les rappeller pendant le jour, et le plus souvent pendant la nuit. Or sitôt que des imbéciles voulurent voir des ames et des ombres, il y eut bientôt des charlatans qui les montrerent pour de l’argent. On cacha souvent une figure dans le fond d’une caverne, et on la fit paraître par le moyen d’un seul flambeau derriere elle. La pythonisse d’Endor n’y fait pas tant de façon : elle dit qu’elle voit une ombre ; et Saül la croit sur sa parole. Par-tout ailleurs que dans la sainte écriture, cette histoire passerait pour un conte de sorcier assez mal fait ; mais puisqu’un auteur sacré l’a écrite, elle est indubitable ; elle mérite autant de respect que tout le reste. St Justin ne doute pas, dans son dialogue contre Tryphon, que les magiciens n’évoquassent quelquefois les ames des justes et des prophetes, qui étaient tous en enfer, et qui y demeurerent jusqu’à ce que Jesus-Christ vint les en tirer, comme l’assurent plusieurs peres de l’église. Origene est fortement persuadé que la pythonisse d’Endor fit venir Samuel en corps et en ame. Le plus grand nombre des commentateurs croit que le diable apparut sous la figure de Samuel. Nous ne prenons parti ni pour ni contre le diable. Le révérend pere Don Calmet prouve la vérité de l’histoire de la pythonisse par l’exemple d’un anglais, qui avait le secret de parler du ventre. M Boulanger dit que Calmet devait s’en tenir à ses vampires.