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prédit arrive infailliblement ; allons à lui, peut-être il nous donnera des indications sur notre voyage… Saül dit au petit valet : nous irons ; mais que porterons-nous à l’homme de Dieu ? Le pain a manqué dans notre bissac, et nous n’avons rien pour donner à l’homme de Dieu[1]. Et le petit valet répondit : voilà que j’ai trouvé le quart d’un sicle par hazard dans ma main ; donnons-le à l’homme de Dieu pour qu’il nous montre notre chemin. Autrefois en Israël ceux qui allaient consulter Dieu se disaient : allons consulter le voyant. Car celui qui s’appelle aujourd’hui prophete s’appellait alors le voyant[2]. Et Saül dit au petit valet : tu parles très bien ; viens, allons. Et ils entrerent dans le bourg où était l’homme de Dieu ; et comme ils montaient la colline du bourg, ils rencontrerent des filles qui allaient puiser de l’eau. Ils dirent à ces filles : y a-t-il ici un voyant ? Les filles lui répondirent : le voilà devant toi ; va vite… or le seigneur avait révélé la veille à l’oreille de Samuel, que Saül arriverait, en lui disant : demain à cette même heure j’enverrai un homme de Benjamin ; et tu le sacreras duc sur mon peuple d’Israël ; et il sauvera mon peuple de la main des philistins, parce que j’ai regardé mon peuple, et que son cri est venu à moi. Samuel ayant donc envisagé Saül, Dieu lui dit : voilà l’homme dont je t’avais parlé ; ce sera lui qui dominera sur mon peuple. Saül, s’étant donc approché de Samuel au milieu de la porte, lui dit : enseigne-moi, je te prie, la maison du voyant. Samuel

  1. les incrédules prétendent que ce seul passage prouve que les prêtres et les prophetes juifs n’étaient que des gueux entiérement semblables à nos devins de village, qui disaient la bonne avanture pour quelque argent, et qui fesaient retrouver les choses perdues. Mylord Bolingbroke, M Mallet, son éditeur, et M Huet, en parlent comme des charlatans de smithfields. Don Calmet, bien plus judicieux, dit, que si on leur donnait de l’argent ou des denrées, c’était uniquement par respect pour leur personne.
  2. ces messieurs prennent occasion de ce demi-sicle, de ce schelling donné par un petit garçon gardeur de chevres au prophete Samuel, pour couvrir de mépris la nation juive. Saül et son valet demandent dans un petit village la demeure du voyant, du devin qui leur fera retrouver deux ou trois ânesses, comme on demande où demeure le savetier du village. Ce nom de devin, de voyant, qu’on donnait à ceux qu’on a depuis nommé prophetes, ces huit ou neuf sous présentés à celui qu’on prétend avoir été juge et prince du peuple, sont selon ces critiques les témoignages les plus palpables de la grossiere stupidité de l’auteur juif inconnu. Les sages commentateurs pensent tout le contraire : la simplicité du petit gardeur de chevres n’ôte rien à la dignité de Samuel ; s’il reçoit huit sous d’un petit garçon, cela ne l’empêchera pas d’oindre deux rois et d’en couper un troisieme par morceaux ; ces trois fonctions annoncent un très grand seigneur.