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porte et criant : fais-nous sortir ce lévite afin que nous en abusions. Le vieillard allant à eux, leur dit : mes freres, ne faites point ce mal ; cet homme est mon hôte ; ne consommez pas cette folie ; j’ai une fille vierge, et cet homme a sa concubine avec lui ; je vous les amenerai pour que vous les mettiez sous vous et que vous assouvissiez votre débauche ;[1] seulement, je vous prie, ne commettez pas ce péché contre nature avec cet homme. Or le lévite, voyant qu’ils n’acquiesçaient pas à cette proposition, leur amena lui-même sa concubine ; il la mit entre leurs mains, et ils en abuserent toute la nuit. Quand les ténebres furent dissipées, la femme retourna à la porte de la maison et tomba par terre... le lévite s’étant levé pour continuer sa route, trouva sa femme sur le seuil étendue et morte. Ayant reconnu qu’elle était morte, il la mit sur son âne et s’en retourna en sa maison. Et étant venu chez lui, il prit un couteau et coupa le cadavre de sa femme en douze parts avec les os, et en envoia douze parts aux douze tribus d’Israël.[2]...

  1. l’histoire du lévite et de sa femme ne présente pas moins de difficultés. Elle est isolée comme la précédente, et rien ne peut indiquer en quel temps elle est arrivée. Ce qui est très extraordinaire, c’est qu’on y trouve une avanture à-peu-près semblable à une de celles qui sont consignées dans la genese ; et c’est ce que nous allons bientôt examiner. Le lévite qui arrive dans Gabaa, et avec qui les gabaïtes ont la brutalité de vouloir consommer le péché contre nature, semble d’abord une copie de l’abomination des sodomites qui voulurent violer deux anges. Nous verrons ces deux crimes infâmes punis, mais d’une maniere différente. Le Lord Bolingbroke en prend occasion d’invectiver contre le peuple juif, et de le regarder comme le plus exécrable des peuples. Il dit qu’il était presque pardonnable à des grecs voluptueux, à de jeunes gens parfumés, de s’abandonner dans un moment de débauche à des excès très-condamnables, dont on a horreur dans la maturité de l’âge. Mais il prétend qu’il n’est gueres possible qu’un prêtre marié, et par conséquent ayant une grande barbe à la maniere des orientaux et des juifs, arrivant de loin sur son âne accompagné de sa femme, et couvert de poussiere, pût inspirer des desirs impudiques à toute une ville. Il n’y a rien, selon lui, dans les histoires les plus révoltantes de toute l’antiquité, qui approche d’une infamie si peu vraisemblable. Encore les deux anges de Sodome étaient dans la fleur de l’âge, et pouvaient tenter ces malheureux sodomites. Ici les gabaïtes prennent un parti que les sodomites refuserent. Loth proposa ses deux filles aux sodomites qui n’en voulurent point. Mais les gabaïtes assouvissent leur brutalité sur la femme du prêtre, au point qu’elle en meurt. Il est à croire qu’ils la battirent après l’avoir déshonorée, à moins que cette femme ne mourût de l’excès de la honte et de l’indignation qu’elle dut ressentir, car il n’y a point d’exemple de femme qui soit morte sur le champ de l’excès du coït. La maison du lévite, dans laquelle le lévite ramena le cadavre sur son âne, était devers la montagne d’éphraïm, et sa femme était du village de Bethléem ; on ne sait s’il rapporta sa femme à Bethléem ou à éphraïm.
  2. l’idée d’envoyer un morceau du corps de sa femme à chaque tribu, est encore