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camp des madianites en fut troublé, et ils s’enfuirent en hurlant... or il ne resta à ce peuple oriental que quinze mille hommes, car on en tua cent vingt mille dans la bataille[1]. Gédéon eut soixante et dix fils sortis de sa cuisse, parce qu’il avait eu plusieurs femmes. Et une concubine qu’il avait à Sichem lui enfanta encore un fils nommé Abimélec. Et les sichémites lui donnerent soixante et dix sicles d’argent, qu’ils tirerent du temple de baal-bérith. Et Abimélec, avec cet argent, leva une troupe de gueux et de vagabonds. Et il vint à la maison de son pere (qui était mort), et il égorgea sur une même pierre ses soixante et dix freres fils de Gédéon. Et il ne resta que Joatham le dernier des enfans, qui fut caché[2].

  1. à la vérité les gens de guerre de nos jours ne hazarderaient pas un pareil stratagême. Ce n’est point avec trois cents cruches qu’on gagne à présent des batailles. Le texte dit que chacun des trois cents combattans tenait une lampe de la main gauche, et un cornet de la main droite. Ces armes sont faibles ; leurs lampes ne pouvaient servir qu’à faire discerner leur petit nombre. Celui qui tient une lampe est vu plutôt qu’il ne voit, à moins qu’il n’ait une lanterne sourde. C’est-là ce que disent les critiques. Aussi cette victoire de Gédéon doit être regardée comme un miracle, et non comme un bon stratagême de guerre. Ce qui rend le miracle évident, c’est que ces trois cents hommes, armés d’une lampe et d’un cornet, tuent cent vingt mille madianites. Nous passons ici sous silence les peuples de Socoth, dont Gédéon brisa les os avec les épines du désert, pour avoir refusé des rafraichissements à ses troupes fatiguées d’un si grand carnage. Nous verrons David en faire autant. Les juifs, et peuple et chefs et rois et prêtres, ne sont pas trop miséricordieux.
  2. les critiques se soulevent contre cette multitude abominable de fratricides. Ils disent que ce crime est aussi improbable qu’odieux. La raison d’état, cette infame excuse des tyrans, ne pouvait être connue selon eux de la petite horde juive à peine sortie d’esclavage, et qui ne possédait pas alors une ville. Ces cruautés n’ont été exercées, dit-on, que dans de vastes empires, pour prévenir les révoltes des freres. Si Clotaire et Childebert fils de Clotilde assassinerent deux petits enfans de Clotilde presque au berceau, si Richard Iii en Angleterre assassina ses deux neveux, si Jean Sans Terre assassina le sien ; nous étions tous des barbares en ces temps-là : mais ces horreurs n’approchent pas de celle d’Abimélec, qui fut commise sans être excitée par un grand intérêt. Il semble que les juifs ne tuent que pour avoir le plaisir de tuer. On les représente continuellement comme le peuple le plus féroce, et le plus imbécille à la fois, qui ait souillé et ensanglanté la terre. Mais remarquons que les livres sacrés ne louent point cette action comme ils louent celles d’Aod et de Jahel. Les critiques reprochent encore au peuple de Dieu, de n’avoir point eu de temple lorsque les phéniciens en avoient à Baal-Bérith, à Sidon, à Tyr, à Gaza. Ils ne peuvent concevoir comment le dieu jaloux ne voulut pas avoir un temple aussi, et donner à son peuple de quoi en bâtir un, après lui avoir tant juré qu’il lui donnerait tous les royaumes, de la mer Méditerranée à l’Euphrate. Ils demandent