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Le peuple sortit donc de ses tentes pour passer le Jourdain, et les prêtres qui portaient l’arche du pacte marchaient devant lui ; et quand ils furent entrés dans le Jourdain, et que leurs pieds furent mouillés d’eau au temps de la moisson, le Jourdain étant à pleins bords, [1] les eaux descendantes s’arrêterent à un même lieu, s’élevant comme une montagne ; et les eaux d’en bas s’écoulerent dans la mer du désert, qui s’appelle aujourd’hui la mer Morte. Et le peuple s’avançait toujours contre Jérico, et tout le peuple passait par le lit du fleuve à sec.

Tous les rois des amorrhéens qui habitaient

    a voulu nous faire connaître que sa naissance effaçait tous les crimes. Mais l’action de la prostituée Rahab n’en est pas moins punissable selon le monde. Colins soutient que Josué sembla se défier de Dieu en envoyant des espions chez cette femme, et que puisqu’il avait avec lui Dieu et quarante mille hommes pour se saisir d’un petit bourg dans une vallée, et que la palissade qui enfermait ce petit bourg tomba au son des trompettes, on n’avait pas besoin d’envoyer chez une gueuse deux espions qui risquaient d’être pendus. Nous citons à regret ces discours des incrédules. Mais il faut faire voir jusqu’où va la témérité de l’esprit humain.

  1. les incrédules disent qu’il ne faut pas multiplier les miracles sans nécessité ; que le prodige du passage du Jourdain est superflu après le passage de la mer Rouge. Ils remarquent que l’auteur fait passer le Jourdain dans notre mois d’avril au temps de la moisson, mais que la moisson ne se fait dans ce pays-là qu’au mois de juin, ils assûrent que jamais au mois d’avril le Jourdain n’est à pleins bords ; que ce petit fleuve ne s’enfle que dans les grandes chaleurs par la fonte des neiges du mont Liban ; qu’il n’a dans aucun endroit plus de quarante-cinq pieds de large, excepté à son embouchure dans la mer Morte ; et qu’on peut le passer à gué dans plusieurs endroits. Ils prouvent qu’il y a plusieurs gués, par l’aventure funeste de la tribu d’éphraïm, qui combattit depuis contre Jephté capitaine des galaadites. Ceux de Galaad se saisirent, dit le texte sacré, des gués du Jourdain par lesquels les éphraïmites devaient repasser ; et quand quelque éphraïmite échappé de la bataille venait aux gués et disait à ceux de Galaad, je vous conjure de me laisser passer, ceux de Galaad disaient à l’éphraïmite, n’es-tu pas d’éphraïm ? Non, disait l’éphraïmite ; eh bien, disaient les galaadites, prononce schiboleth ; et l’éphraïmite, qui grassaiait, prononçait siboleth ; et aussitôt on le tuait ; et on tua ainsi ce jour-là quarante-deux mille éphraïmites. Ce passage, disent les critiques fait voir qu’il y avait plusieurs gués pour traverser aisément ce petit fleuve. Ils s’étonnent ensuite que le roi prétendu de Jérico, et tous les autres cananéens que l’auteur sacré a dépeints comme une race de géants terribles, et auprès de qui les juifs ne paraissaient que des sauterelles, ne vinrent pas exterminer ces sauterelles qui venaient ravager leur pays. Il est vrai, disent-ils, que l’auteur sacré nous assure que le roi Og était le dernier des géants ; mais il nous assure aussi qu’il en restait beaucoup au-delà du Jourdain dans le pays de Canaan ; et géants ou non, ils devaient disputer le passage de la riviere. On répond à celà que l’arche passait la premiere ; que la gloire du seigneur était visiblement sur l’arche ; que Dieu marchait avec Josué et quarante mille hommes choisis ; et que les habitants durent être consternés d’un miracle dont ils n’avaient point d’idée.