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la terre que nous avons parcourue dévore ses habitants, et ils sont d’une grandeur démesurée ; ce sont des monstres de la race des géants, devant qui nous ne paraissons que comme des sauterelles. Et ils dirent l’un à l’autre : établissons-nous un autre chef, et retournons en égypte [1]. Et Dieu dit à Mosé : aucun des israëlites ne verra la terre que j’ai promis par serment de donner à leurs peres ; mais pour Caleb mon serviteur, je le ferai entrer dans ce pays dont il a fait le tour ; et sa semence le possédera ; mais parce que les amalécites et les cananéens habitent dans les vallées, ne montez pas par les montagnes, et retournez-vous-en tous dans les déserts vers la mer Rouge… vous n’entrerez point dans le pays dans lequel j’ai juré de vous faire entrer, excepté Caleb, fils de Séphoné, et Josué fils de Nun… et les cananéens et les amalécites, qui habitaient sur la montagne, descendirent contre eux, les battirent et les poursuivirent jusqu’à Orma [2]

  1. ces deux rapports des espions juifs sont entiérement contradictoires. On demande d’ailleurs, comment ces géants si redoutables laisserent prendre et emporter leurs raisins, leurs grenades et leurs figues, par des étrangers qui ne leur venaient pas à la ceinture. Ceux qui virent ces géants ne virent pas apparemment les gros raisins ; et s’ils voulurent choisir un autre chef que Mosé, ils ne firent que ce que font encore aujourd’hui tous les arabes, et les maures de Tunis, d’Alger et de Tripoli, qui déposent leurs chefs, et qui souvent les tuent quand ils en sont mécontens. Mais on est surpris que des gens qui voyaient tous les jours Dieu-même parler à Mosé, et qui ne marchaient qu’au milieu de miracles, pussent imaginer de déposer ce même Mosé déclaré si souvent le ministre de Dieu, et qui était armé de toute sa puissance. On peut bien conspirer contre un chef à qui on espere de succéder ; mais personne ne pouvait se flatter d’obtenir de Dieu les mêmes faveurs qu’il avait faites à Mosé son représentant. Les mœurs de ce temps-là sont différentes des mœurs modernes : on le voit à chaque ligne.
  2. nous voyons qu’il était ordinaire chez les anciens que les dieux fissent serment comme les hommes. Il y en a des exemples dans tous les poëtes héroïques. Les critiques ne peuvent concilier ce que Dieu dit ici, que les cananéens et les amalécites habitent les vallées, avec ce qui est dit le moment d’après, qu’ils descendirent des montagnes. La chose cependant est très-possible. Mais ils trouvent Mosé aussi mauvais général que mauvais législateur : car, disent-ils, en supposant que Mosé fût à la tête de six cents mille combattans, il devait s’emparer de tout le pays en se montrant ; il avait assez de monde pour se saisir de tous les défilés ; et il se laisse battre en rase campagne par une poignée d’amalécites ; il ne fait plus ensuite qu’errer pendant quarante ans, aller de désert en désert, et revenir sur ses pas, sans aucun projet de campagne. Ils ne reçoivent point pour excuse les décrets de Dieu ; ils disent qu’il est trop aisé de supposer qu’on n’a été battu que pour avoir offensé Dieu ; ils ajoutent que quand on est errant pendant quarante ans sans avoir pu prendre une seule ville, ce ne peut être que par sa faute ; et après avoir regardé Mosé comme un homme très mal entendu dans son métier, ils persistent à dire que toute cette histoire ne peut être qu’une fable encore plus mal inventée. Nous nous sommes fait une loi de rapporter toutes