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Scène III.



ARISTON, CLITANDRE, NICODON.


NICODON, balbutiant, et les yeux baissés.


Oui, monsieur, on m’ordonne
De vous donner… Je viens…

ARISTON.


Qu’est-ce qui vous étonne ?
De quoi rougissez-vous ? pourquoi baisser les yeux ?
N’osez-vous voir en face un homme malheureux ?

NICODON.


C’est que l’on m’a, monsieur, chargé de la réponse
De monseigneur Cléon.

ARISTON.


Voyons ce qu’elle annonce.

NICODON, donnant la lettre.


Pardon, monsieur.

ARISTON, lit.


« …Rien ne pourra me désarmer ;
Et mon cœur sait haïr autant qu’il sait aimer. »

CLITANDRE.


Je reconnais son style en cet aveu sincère ;
Il ne déguise rien, tel est son caractère.
Son cœur est inflexible autant que généreux ;
Juge intègre, ami vif, ennemi dangereux.
S’il est préoccupé, vous avez tout à craindre.

ARISTON.


Je vois de tous côtés combien je suis à plaindre.
Un de mes grands chagrins c’est qu’étant opprimé,
Je ne pourrai plus rien pour ceux qui m’ont aimé.
Voyez-vous ce jeune homme ? Il m’aimait ; il m’inspire
Plus de compassion que je ne saurais dire.
Il est sans bien, sans père ; il ferait quelque effort
Pour percer dans le monde, et corriger le sort.
C’est un plaisir bien doux d’animer la culture
D’un champ qu’on croit fertile, et d’aider la nature :
Je me fis un devoir de prendre soin de lui,