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Scène 2



Gusman, Alzire, Émire.



Alzire.

C’est moi, c’est ton épouse,
C’est ce fatal objet de ta fureur jalouse,
Qui n’a pu te chérir, qui t’a du révérer,
Qui te plaint, qui t’outrage, et qui vient t’implorer.
Je n’ai rien déguisé. Soit grandeur, soit faiblesse,
Ma bouche a fait l’aveu qu’un autre a ma tendresse :
Et ma sincérité, trop funeste vertu,
Si mon amant périt, est ce qui l’a perdu.
Je vais plus t’étonner, ton épouse a l’audace,
De s’adresser à toi pour demander sa grâce.
J’ai cru que Dom Gusman, tout fier, tout rigoureux,
Tout terrible qu’il est, doit être généreux.
J’ai pensé qu’un guerrier, jaloux de sa puissance,
Peut mettre l’orgueil même à pardonner l’offense :
Une telle vertu séduirait plus nos cœurs,
Que tout l’or de ces lieux n’éblouit nos vainqueurs.
Par ce grand changement dans ton âme inhumaine,
Par un effort si beau, tu vas changer la mienne,
Tu t’assures ma foi, mon respect, mon retour,
Tous mes vœux (s’il en est qui tiennent lieu d’amour)[1].
Pardonne… je m’égare… éprouve mon courage.
Peut-être une espagnole, eût promis davantage.
Elle eût pu prodiguer les charmes de ses pleurs[2] ;
Je n’ai point leurs attraits, et je n’ai point leurs mœurs[3].
Ce cœur simple et formé des mains de la nature,
En voulant t’adoucir redouble ton injure ;

  1. Toute cette tirade fut vivement critiquée. On voulait que Gusman interrompît Alzire par une Quinauderie. Que dis-je ! On se permit de l’interrompre à la première représentation, et Voltaire protesta. (G. A.)
  2. J’ai suivi les éditions de 1736, 1748, 1768, 1765. Feu Décrois proposait de mettre :
    Le charme de ses pleurs. (B.)
  3. On supprima ce vers à la première représentation comme ne s’accordant pas avec « une Espagnole ». Voltaire dut protester encore, et renvoya ses censeurs à la grammaire, article des Pronoms collectifs. (G. A.)