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La rouille de l'envie. l’artifice des intrigues, le poison de la calomnie, l’assassinat de la satire (si j’ose m’exprimer ainsi), déshonorent, parmi les hommes, une profession qui par elle-même a quelque chose de divin.

Pour moi, madame, qu’un penchant invincible a déterminé aux arts dès mon enfance, je me suis dit de bonne heure ces paroles que je vous ai souvent répétées, de Cicéron, ce consul romain qui fut le père de la patrie, de la liberté, et de l’éloquence ’ : « Les lettres forment la jeunesse, et font les charmes de l’Age avancé. La prospérité en est plus brillante ; l’adversité en reçoit des consolations ; et dans nos maisons, dans celles des autres, dans les voyages, dans la solitude, en tout temps, en tous lieux, elles font la douceur de notre vie. »

Je les ai toujours aimées pour elles-mêmes ; mais à présent, madame, je les cultive pour vous, pour mériter, s’il est possible, de passer auprès de vous le reste de ma vie, dans le sein de la retraite, de la paix, peut-être de la vérité, à qui vous sacrifiez dans votre jeunesse les plaisirs faux, mais enchanteurs, du monde ; enfin pour être à portée de dire un jour avec Lucrèce, ce poète philosophe dont les beautés et les erreurs vous sont si connues :

Heureux qui, retiré dans le temple des sages 2,
Voit en paix sous ses pieds se former les orages ;
Qui contemple de loin les mortels insensés,
De leur joug volontaire esclaves empressés.
Inquiets, incertains du chemin qu’il faut suivre,
Sans penser, sans jouir, ignorant l’art de vivre,
Dans l’agitation consumant leurs beaux jours,
Poursuivant la fortune, et rampant dans les cours !
O vanité de l’homme ! ô faiblesse ! ô misère !

1. « Studia adolescentiam alunt, scnectutcm oblcctant, secundas ros ornant, adversis porfugium ac solatium prœbent ; délectant domi, non impediunt foris, pernoctant nobiscum, peregrinantur, rusticantur. » Cicer.. Orat. pro Ardiia poeta.

2. Dans son article Curiosité des Questions sur l’Encyclopédie, Voltaire a donné le texte et la traduction de ces vers, et de quelques autres de plus.

Sed nil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena ;
Despicero unde quoas alios, passimque videre
Errare, atque viam palantes qurerere vitaî,
Certare ingonio, contendore nobilitate ;
Noctes atquc dies niti prœstante labore,
Ad summas cmergcro opes, rerumque potiri.
O miseras hominum mentes ! o pectora caeca !

Lucret., lib II. v. 7.