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de le dire, quoique vous craigniez de l’entendre. Il faut que votre exemple encourage les personnes de voire sexe et de votre rang à croire qu’on s’ennoblit encore en perfectionnant sa raison, et que l’esprit donne des grâces,

Il a été un temps en France, et même dans toute l’Europe, où les hommes pensaient déroger, et les femmes sortir de leur état, en osant s’instruire. Les uns ne se croyaient nés que pour la guerre ou pour l’oisiveté ; et les autres, que pour la coquetterie.

Le ridicule même que Molière et Despréaux ont jeté sur les femmes savantes a semblé, dans un siècle poli, justifier les préjugés de la barbarie. Mais Molière, ce législateur dans la morale et dans les bienséances du monde, n’a pas assurément prétendu, en attaquant les femmes savantes, se moquer de la science et de l’esprit. Il n’en a joué que l’abus et l’affectation, ainsi que, dans son Tartuffe, il a diffamé l’hypocrisie et non pas la vertu.

Si, au lieu de faire une satire contre les femmes, l’exact, le solide, le laborieux, l’élégant Despréaux avait consulté les femmes de la cour les plus spirituelles, il eût ajouté à l’art et au mérite de ses ouvrages, si bien travaillés, des grâces et des fleurs qui leur eussent encore donné un nouveau charme. En vain, dans sa satire des femmes, il a voulu couvrir de ridicule une dame qui avait appris l’astronomie ; il eût mieux fait de l’apprendre lui-même.

L’esprit philosophique fait tant de progrès en France depuis quarante ans, que si Boileau vivait encore, lui qui osait se moquer d’une femme de condition parce qu’elle voyait en secret Roberval et Sauveur, il serait obligé de respecter et d’imiter celles qui profitent publiquement des lumières des Maupertuis, des Réaumur, des Mairan, des Dufay et des Clairaut ; de tous ces véritables savants, qui n’ont pour objet qu’une science utile, et qui, en la rendant agréable, la rendent insensiblement nécessaire à notre nation. Nous sommes au temps, j’ose le dire, où il faut qu’un poëte soit philosophe, et où une femme peut l’être hardiment.

Dans le commencement du dernier siècle, les Français apprirent à arranger des mots. Le siècle des choses est arrivé. Telle qui lisait autrefois Montaigne, l’Astrée, et les Contes de la reine de Navarre, était une savante. Les Deshoulières et les Dacier, illustres dans différents genres, sont venues depuis. Mais votre sexe a encore tiré plus lie gloire de celles qui ont mérité qu’on fît pour elles le livre des Mondes, et les Dialogues sur la Lumière[1] qui vont paraître, ouvrage peut-être comparable aux Mondes.

  1. Il Newtonianismo per le Dame, d’Algarotti, (K.)