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340 LA MORT DE CÉSAR.


Tu l’as trop mérité. Ta fière ingratitude Se fait de m'offenser une farouche étude. Je te retrouve encore avec ceux des Romains Dont j’ai plus soupçonné les perfides desseins ; Qvec ceux qui tantôt ont osé nie déplaire, Ont blâmé ma conduite, ont bravé ma colère.

BRUTUS,

Ils parlaient en Romains, César ; et leurs avis, Si les dieux t’inspiraient, seraient encor suivis.

CÉSAR.

Je soutire ton audace, et consens à t’entendre : De mon rang avec toi je me plais à descendre. Que me reproches-tu ?

BRUTUS.

Le monde ravagé, Le sang des nations, ton pays saccagé ; Ton pouvoir, tes vertus, qui font tes injustices. Qui de tes attentats sont en toi les complices ; Ta funeste honte, qui fait aimer tes fers, Et qui n’est qu’un appât pour tromper l’univers*.

CÉSAR.

Ah ! c’est ce qu’il fallait reprocher à Pompée : Par sa feinte vertu la tienne fut trompée. Ce citoyen superbe, à Rome plus fatal. N’a pas même voulu César pour son égal. Crois-tu, s’il m’eût vaincu, que cette âme hautaine Eût laissé respirer la liberté romaine ? Sous un joug despotique il t’aurait accablé. Qu’eût fait Brutus alors ?

BRUTUS.

Brutus l’eût immolé.

CÉSAR.

Voilà donc ce qu’enfin ton grand cœur me destine !

1. Corneille a dit, dans Sertorius, acte III, scène ii :

Et votre empire en est d’autant plus dangereux
Qu’il rend de vos vertus les peuples amoureux,
Qu’en assujettissant vous avez l’art de plaire,
Qu’on croit n’être en vos fers qu’esclave volontaire.

Racine, dans Alexandre, acte IV, scène ii, s’exprime ainsi :

Je vous hais d’autant plus qu’on vous aime,
D’autant plus qu’il me faut vous admirer moi-même,
Que l’univers entier m’en impose la loi.