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Une objection, dont je ne \oiis iiai’lcriiis pas si je ne l’eusse ontcmdu faire, est sur ce (|ue cette trai^éilie n’(>sl (|u’cn trois actes. (Test, dit-on. pécher contre le llieàtre, qui veut (|ue le nonil)re di’S actes soit fixé à cinq. 11 est vrai qu’une des règles est quii toute rigueur la représentation ne dure pas plus de temps que n’aurait duré l’action, si véritablement elle fût arrivée. On a borné a\ ec raison le temps à trois heures, parce qu’une plus longue durée lasserait l’attention, et empêcherait qu’on ne pût réunir aisément dans le même point de vue les différentes circonstances de l’action qui les passe. Sur ce principe, on a divisé les pièces en cinq actes, pour la commodité des spectateurs et de l’auteur, qui peut faire arriver dans ces intervalles quelque événement nécessaire au nœud ou au dénoùment de la pièce : toute l’objection se réduit donc à n’avoir fait durer l’action du César que deux heures au lieu de trois. Si ce n’est pas un défaut, le nombre des actes n’en doit pas être un non plus, puisque la même raison qui veut qu’une action de trois heures soit partagée en cinq actes, demande aussi qu’une action de deux heures ne le soit qu’en trois. Il ne s’ensuit pas de ce que la plus grande étendue qui a été prescrite est de trois lieures qu’on ne puisse pas la rendre moindre, et je ne vois point pourquoi une tragédie assujettie aux trois unités, d’ailleurs pleine d’intérêt, excitant la terreur et la compassion, enfin produisant en deux heures le même effet que les autres en trois, ne serait pas une excellente tragédie.

Une statue dans laquelle les belles proportions et les autres règles de l’art sont observées ne laisse pas d’être une belle statue, quoiqu’elle soit plus petite qu’une autre faite sur les mêmes règles. Je ne crois pas que personne trouve la Vénus de Médicis moins belle dans son genre que le Gladiateur, parce qu’elle n’a que quatre pieds de haut et que le Gladiateur en a six.

M. de Voltaire a peut-être voulu donner à son César moins d’étendue que l’on n’en donne communément aux pièces dramatiques, pour sonder le goût du public par un essai, si l’on peut appeler de ce nom une pièce aussi achevée. Il s’agit pour cela d’une révolution dans le théâtre français, et c’eût été peut-être trop hasarder que de commencer par parler de liberté et de politique trois heures de suite à une nation accoutumée à voir soupirer Mithridate sur le point de marcher au Capitole. On doit tenir compte à M. de Voltaire de ce ménagement, et ne lui point faire d’ailleurs un crime de n’avoir mis ni amour ni femmes dans sa pièce : nées pour inspirer la mollesse et les sentiments tendres, elles ne pourraient jouer qu’un rôle ridicule entre Brutus et Cassius, atroces animœ 1. Elles en jouent de si brillants partout ailleurs, qu’elles ne doivent pas se plaindre de n’en avoir aucun dans César.

Je ne vous parlerai point des beautés de détail, qui sont sans nombre dans cette pièce, ni de la force de la poésie, pleine d’images et de senti-

1, Horace a dit, livre II, ode i, vers 24 :

Atrocem animum Catonis,