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308 AVERTISSEMENT DE L’ÉDITION DE 1736.

On joua, il y a environ trente ans, une tragédie de la Mort de César sur le théâtre des Comédiens fran( ; ais, et on ne manqua i)as de rendre César et Brutus amoureux ’.

C’est aux gens de lettres, étrangers et français, à qui nous présentons ce petit ouvrage de M. de V…, à juger s’il a mieux fait de peindre ces deux grands hommes tels ([u’ils étaient, que de donner sous leurs noms des Français galants.

Cette tragédie, qui n’a jamais été destinée au théâtre de Paris, fut re- présentée, il y a quatre ans, à l’iiotel de Sassenage, et très-bien exécutée. Mais la scène de Shakespeare dans laquelle Antoine monte à la tribune aux harangues pour faire voir au peuple la robe sanglante de César ne put être représentée à cause du petit espace du théâtre, qui suffisait à peine au petit nombre d’acteurs qui jouent dans celte pièce.

Elle fut donnée depuis au collège d’Harcourt par les pensionnaires de ce collège, avec une intelligence et une dignité peu ordinaires à l’âge des acteurs. L’auteur aurait sans doute été très-satisfait s’il avait pu voir cette représentation.

La tragédie, transcrite à la hâte au collège d’Harcourt, a été imprimée furtivement. On croirait presque que l’éditeur et l’imprimeur ont disputé à qui ferait plus de fautes ; c’est ce qui a déterminé l’auteur à faire une édi- tion de cet ouvrage, qu’il était résolu de ne point faire paraître, parce qu’il lui manque, pour le soutenir, l’illusion du théâtre : secours si nécessaire à ce genre de poésie. C’est au public à l’apprécier ce qu’il vaut : les louanges des amis et les critiques des ennemis sont également inutiles devant ce tii- bunal. Je sais que bien des gens se récrient sur l’atrocité de Brutus qui tue César, quoiqu’il le connaisse pour son père. Mais on les prie de se souvenir que chez les Romains l’amour de la liberté était poussé jusqu’à la fureur, et qu’un parricide, dans certaines circonstances, était regardé comme une ac- tion de courage et même de vertu. Nous avons, parmi les Lettres de Cicé- ron, une lettre de ce même Brutus dans laquelle il dit qu’il tuerait son père pour le salut de la république ; et d’ailleurs la tragédie, et surtout la tragé- die anglaise, n’est pas faite pour les choses à demi terribles.

Nous ajoutons à cet Avertissement une lettre de M. le marquis Algarotti, qui, à l’âge de vingt-quatre ans, est déjà regardé comme un bon poète, un bon philosophe, et un savant ; son estime et son amitié pour M. de Y… leur fait honneur à tous deux.

1. Allusion à la Mort de César, tragédie en trois actes, par M"<^ Barbier, 1709.