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300 AVERTISSEMENT.

« La niagnanimo confiance do Hnilus, sa tendresse de cœur, comme dit Plutarque, sa faiblesse pour la mémoire de César, pouvaient seules expliquer la faute qu’il fit alors en laissant parler Antoine, qu’il avait laissé vivre contre l’avis des autres conjurés.

« C’est en cela que Sliakesi^eare a merveilleusement conservé, par la vérité de l’histoire, celle du drame. Brutus a reçu les soumissions et le message d’Antoine. Brutus, après avoir frappé le grand homme qu’il aimait, veut que ses restes soient honorés. Il s’adresse d’abord aux Romains pour expliquer son douloureux devoir ; mais il introduit lui-même Antoine, et le recom- mande, pour ainsi dire, de ses dernières paroles. Voilà ce qui rend sublime la péripétie do ce drame oratoire. Et puis quelle vérité dans le langage, quelle intime communication avec le peuple ! et comme le peuple parle na- turellement à son tour !

BRUTUS.

S’il est dans cette assemblée quelque ami cher de César, je lai dirai que l’a- mour de Brutus pour César n’était pas moindre que le sien. Si cet ami demande pourquoi Brutus s’est armé contre César, voici ma réponse : Ce n’était pas que j’ai- masse peu César ; mais j’aimais Rome davantage. Souhaiteriez-vous do voir César vivant, et nous tous esclaves, plutôt que César mort, et de vivre en hommes libres ? César m’aimait, je le pleure ; il était vaillant, je l’honore ; il était heureux, j’ap- plaudis à sa fortune ; mais il était ambitieux, je l’ai tué… Quelqu’un est-il assez bas pour souhaiter d’être esclave ? i^’il est ici, qu’il parle, car je l’ai olTonsé. Quel- qu’un est-il assez stupide pour ne pas vouloir être Romain ? Quelqu’un est-il assez vil pour ne pas aimer son pays ? S’il est ici, qu’il parle ; car je l’ai otTensé. Je m’ar- rête pour attendre la réponse.

TOUS.

Personne, Brutus, personne.

BRUTUS.

Ainsi je n’ai offensé personne. Je n’ai pas fait plus à César que vous ne feriez à Brutus. Voici le corps de César dont le deuil est mené par Antoine, qui, bien qu’il n’ait pas mis la main dans cette mort, en recueillera l’inestimable prix de vivre dans une ré[.ublique. Qui d’entre vous n’en profitera pas de même ? Je ter- mine par ces mots : J’ai tué mon meilleur ami pour le bien de Rome ; je garde le même poignard pour moi-même, quand il plaira à ma patrie de demander ma mort.

« Voltaire a traduit presque entièrement ce discours, mais en le plaçant avec ; moins de vérité dans la bouche de Cassius. Et que fait-il répondre par le peuple ?

Aux vengeurs de l’État nos^coeurs sont assurés.

Cela vaut à peu près, pour le naturel, l’antithèse admirative que Lamotte faisait répéter en chœur par l’armée grecque, après la réconciliation d’Achille et d’Agamemnon :

Tout le camp s’écriait dans une joie extrême : Que ne vaincrait-il pas, il s’est vaincu lui-même.