Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée

AVIÎIITISSEMEXT. ’299

vous vantiez autrefois, par tous vos serments d’amour, et par ce grand vœu qui nous a inséparablement unis l’un à l’autre ; dites-moi, vous-même, à moi votre moitié, quel trouble vous accable, et pourquoi des hommes, ce soir, sont venus près de vous ? Ils étaient six ou sept, cachant leur visage, même à la nuit.

BRU XL s.

Levez-vous, noble Porcia.

pon c 1 A.

Je n’aurais pas besoin de vous supplier à genoux, si vous étiez généreux. Dans le contrat de notrj union, dites-moi, Brutus, a-t-il été fait cette réserve que je ne connaîtrais pas les secrets qui vous appartiennent ? Mon lot est-il seulement de m’asseoir à votre table, de partager votre lit, de vous parler quelquefois ? Si cela est, et rien davantage, Porcia est la concubine de Brutus, et non sa femme.

BRUTUS.

Vous êtes ma vraie, mon honorable femme, aussi chère pour moi que les gouttes de sang qui remontent à mon triste cœur.

PORCIA.

S’il est vrai, je dois alors connaître ce secret. Je l’avoue, je suis une femme, mais une femme que Brutus a prise pour épouse ; je l’avoue, je suis une femme, mais une femme de bonne renommée : la fille de Caton. Croyez-vous que je ne sois pas plus forte que mon sexe, ayant un tel père et un tel époux ? Dites-moi vos projets ; je ne les trahirai pas. J’ai fait une forte épreuve de ma constance, en me blessant moi-même volontairement ici, à la cuisse. Ayant pu souffrir cela patiemment, ne pourrai-je porter les secrets de mon mari ?

B II u T u s.

vous, dieux ! rendez-moi digne de cette noble femme. Kcouto, on frappe : Porcia, viens un moment ; et ton sein va recevoir les secrets de mon cœur.

« Ce n’est pas là, je crois, un amour qui rapetisse la grandeur historique du sujet.

« La pièce de Shakespeare et celle de Voltaire sont trop connues pour per- mettre une analyse suivie. Marquons seulement quelques diflérences.

« Voltaire, qui n’a pas craint de porter jusqu’au parricide le dévouement civique de Brutus, respecte d’ailleurs le précepte de ne pas ensanglanter la scène ; et, dérobant aux yeux tout ce qui se passe dans le sénat, il ne fait connaître le meurtre de César que par le cri lointain des conjurés, et le re- / tour de Cassius, un poignard à la main : car il n’a pas osé sans doute rame-/ ner devant le spectateur Brutus couvert du sang de son père. Mais cette précaution même accuse le faux calcul du poëte d’avoir rendu évident et formel ce qui, dans l’histoire, est enveloppé d’un doute sinistre. Pour avoir exagéré l’horreur du drame, il est obligé d’en cacher le héros. Il n’y a plus ce beau contraste de Brutus et d’Antoine, enlevant tour à tour le cœur des Romains. Tout manque de motifs et de vraisemblance. On conçoit mal pourquoi Cassius, qui n’était pas l’ami de César, cède la parole à Antoine, dont il se défie et qu’il accuse devant le peuple romain.

II vient justifier son maître et son empire ; Il vous méprise assez pour penser vous séduire. Sans doute il peut ici faire entendre sa voix : Telle est la loi de Rome, et j’obéis aux lois.

Redoutez tout d’Antoine, et surtout Partifice.