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le baron, au comte.

Si tu perds encore le respect à monsieur le comte, je te casserai bras et jambes. Je vois bien que nous n’en tirerons rien de bon. (À ses gens.) Qu’on le remène en prison.

le chevalier.

Arrêtez… Monsieur le baron, il est temps de vous tirer d’erreur.

trigaudin.

Qu’allez-vous dire ?

le chevalier, montrant son frère.

Voilà le véritable comte de Fatenville.

le baron.

Ah ! qu’est-ce que j’entends ?

merlin, au chevalier.

Y pensez-vous ?

gotton.

En voici bien d’une autre !

madame michelle.

Miséricorde !

le baron.

Quoi ! ce serait en effet monsieur le comte ?

le chevalier.

Rien n’est plus certain.

le comte.

Il faut que le baron soit un campagnard bien grossier pour s’être mépris de la sorte, foi de seigneur !

le baron.

Ah ! monsieur le comte, je vous demande pardon ! Qu’on rende les armes à monsieur le comte. J’ai été trompé par ce scélérat de Trigaudin, qui m’a fait signer ce contrat. (Au chevalier.) Mais vous, qui êtes-vous donc, monsieur ? qui êtes-vous ?

le chevalier.

Un pauvre gentilhomme qui n’a rien que l’honneur ; qui ne veut point être heureux par une trahison ; qui rougit d’avoir pu vous abuser un moment ; qui vous respecte ; qui adore mademoiselle votre fille, et qui préfère la misère la plus affreuse à tous les avantages qu’il aurait pu acquérir au préjudice d’un frère qu’il aime encore, tout dénaturé qu’il soit.

le baron, au chevalier.

Comment ! vous êtes son frère ?

le chevalier.

Oui, monsieur. Je ne lui demande plus rien ; qu’il jouisse de tout ce qui peut me revenir de ma légitime ; qu’il épouse mademoiselle votre fille, et qu’il la rende heureuse, s’il est possible ; ce sera mon unique consolation ; je vous rends le contrat que vous m’avez signé.

trigaudin.

Peste soit de la probité !

merlin.

Voilà de belle besogne !

le comte.

Que je t’embrasse, mon cher chevalier. J’admire ta générosité, et je dois y répondre. Je t’accorde les dix mille francs que tu m’as demandés ; pars, épargne-moi les remerciements.

gotton.

Et moi, que deviendrai-je ? À qui suis-je ? À qui suis-je donc ? Tenez, papa, quand je ne devrais jamais aller à Paris, j’aime mieux épouser ce monsieur-là, quoi-qu’il n’ait rien : il me fait trop de peine.