Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MERLIN.

Je ne connais pas monsieur le comte ; mais il me semble que je viens de voir arriver ici M. Trigaudin, votre ami, et le sien, et celui du baron, et celui de tout le monde ; cet homme qui noue plus d’intrigues qu’il n’en peut débrouiller, et qui fait des mariages et des divorces, qui prête et qui emprunte, qui donne et qui vole, qui fournit des maîtresses aux jeunes gens, des amants aux jeunes femmes, qui se rend redouté et nécessaire dans toutes les maisons, qui fait tout et qui est partout : il n’est pas encore pendu, profitez du temps, parlez-lui ; cet homme-là vous tirera d’affaire.

LE CHEVALIER.

Non, non, Merlin ; ces gens-là ne sont bons que pour les riches ; ce sont les parasites de la société. Ils servent ceux dont ils ont besoin, et non pas ceux qui ont besoin d’eux, et leurs vices ne sont utiles qu’à eux-mêmes.

MERLIN.

Pardonnez-moi, monsieur, pardonnez-moi ; les fripons sont assez serviables : M. Trigaudin se mêlerait peut-être de vos affaires pour avoir le plaisir de s’en mêler. Un fripon aime à la fin l’intrigue pour l’intrigue elle-même ; il est actif, vigilant ; il rend service vivement avec un très-mauvais cœur ; tandis que les honnêtes gens, avec le meilleur cœur du monde, vous plaignent avec indolence, vous laissent dans la misère, et vous ferment la porte au nez.

LE CHEVALIER.

Hélas ! je ne connais guère que de ces honnêtes gens-là ; et j’ai bien peur que monsieur mon frère ne soit un très-honnête homme.

MERLIN.

Voilà M. Trigaudin, qui n’a pas tant de probité peut-être, mais qui pourra vous être utile.


Scène II.

LE CHEVALIER, TRIGAUDIN, MERLIN.
TRIGAUDIN.

Bonjour, mon très-agréable chevalier ; embrassez-moi, mon très-cher. Eh ! par quel hasard vous rencontré-je ici ?