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LETTRE III

À Ferney, 26 auguste 1773.

MESSIEURS,

Vous savez que plusieurs officiers, pénétrés de l’innocence de M. le comte de Morangiés, en connaissance de cause, ont fait un fonds pour lui en présence de M. le marquis de Monteynard[1]. Si votre province en fait un, mon neveu vous demande la permission de se joindre à vous.

C’est une réparation authentique de la sentence inouïe du bailliage du Palais, juridiction dont vous n’avez jamais entendu parler. Si cette malheureuse sentence subsistait, notre nation en devrait peut-être autant rougir que des arrêts qu’un aveuglement barbare dicta contre les Calas, contre les Sirven, contre les Montbailli, contre le cultivateur Martin, contre le brave Lally, contre l’infortuné chevalier de La Barre, enfant imprudent à la vérité, mais enfant qu’il était si aisé de corriger, mais enfant de grande espérance, mais petit-fils d’un lieutenant général qui avait si bien servi l’État ; enfin contre tant d’autres citoyens, dont les meurtres juridiques ont épouvanté la nature et la raison humaine.

La sentence rendue par le bailliage n’est pas, à la vérité, de l’atrocité de ces arrêts : la cause ne le permettait pas ; mais l’absurdité est encore plus grande. Il ne faut pas que la France passe pour ridicule aux yeux de l’Europe, après avoir passé pour cruelle. Nous n’avons pas acquis assez de gloire dans la dernière guerre[2] pour que nous n’ayons pas soin de notre réputation dans le sein de la paix. Il serait triste qu’il ne nous restât d’autre gloire que celle d’avoir cultivé les beaux-arts il y a cent ans, et que nous eussions aujourd’hui la honte d’avoir persécuté la vérité en tout genre sans la connaître.

Le parlement de Paris, messieurs, examine l’affaire avec autant d’attention que d’intégrité. Espérons de lui la restauration de la justice qu’un bailli[3] vient de violer, à l’étonnement de quiconque a le sens commun.

Il est démontré aujourd’hui qu’une foule de vils usuriers

  1. Alors ministre de la guerre.
  2. La guerre de 1756-63, appelée guerre de Sept ans.
  3. Pigeon.