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9° Le mensonge grossier de Du Jonquay qui le trahit dans sa fable mal ourdie. Il prétend, dans le premier mémoire de son avocat, que dans ses treize voyages de six lieues il faisait signer chaque fois à M. de Morangiés : « Je reconnais que M. Du Jonquay m’a apporté mille louis, dont je promets faire mon billet à Mme Véron, sa grand’mère » ; et, dans le second mémoire, ce même billet est conçu en ces termes : « Je reconnais avoir reçu du sieur Du Jonquay mille louis au nom de la dame Véron, sa grand’mère, dont je promets lui faire mes billets lorsque la somme sera complète. » Quelle somme ? Il aurait fallu au moins la spécifier. Voilà donc deux billets différents l’un de l’autre. Lequel est le vrai ? Il est évident que tous les deux sont faux.

10° Le mensonge encore plus grossier rapporté par le même avocat, qui prétend défendre sa partie, et qui la convainc malgré lui d’imposture. Il dit que la servante de la Véron, seule servante de cette femme riche, dépose avoir vu M. de Morangiés chez elle lui remettre ces billets importants qui faisaient toute la preuve du port des cent mille écus, ces billets qui auraient prévenu tout procès. Eh ! famille Véron, que ne les avez-vous donc gardés ? C’était votre plus grande sûreté ; c’était la seule probabilité de vos treize voyages. N’est-il pas évident qu’ils n’ont jamais existé, et qu’ils sont aussi mal imaginés que le reste de votre détestable fable ? La nation rougira d’avoir cru quelque temps une fourberie si maladroite et si atroce.

11° L’improbabilité frappante que Du Jonquay et sa mère aient avoué tant de fois et signé chez un commissaire qu’ils n’avaient point donné les cent mille écus à M. de Morangiés, si en effet Du Jonquay avait fait le prodige de les porter. Il n’est pas dans la nature qu’on se résolve ainsi à perdre toute sa fortune, à être puni d’un supplice flétrissant, quand rien ne force à faire un tel aveu. On a déjà observé qu’il n’y a personne en France qui signât ainsi la perte de tout son bien, sa bonté et son supplice, même au milieu des tortures.

Certes, soit que Desbrugnières ait froissé un bouton de Du Jonquay, soit qu’il ne l’ait pas froissé, il résulte que cet homme et sa mère ont confessé très-librement un crime d’ailleurs avéré.

12° Le discours tenu par Du Jonquay devant les officiers de la police : « Je signerai, si l’on veut, que j’ai volé tout Paris. » Quel est l’homme qui s’exprimerait ainsi, si son âme n’était pas aussi basse que criminelle ? Ce seul discours, échappé au coupable, dévoile le crime à quiconque connaît un peu le cœur humain, à quiconque réfléchit. On a du moins des deux côtés preuve contre