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Pour moi, j’ai fait déposer par-devant notaire la déclaration de cet homme. La vérité est trop précieuse en tout genre pour omettre un seul moyen de la découvrir, quelque petit qu’il puisse être. Je ne prétends point me mettre au rang des avocats qui ont plaidé pour et contre, et dont la fonction est de montrer dans le jour le plus favorable tout ce qui peut faire réussir leur cause, et d’obscurcir tout ce qui peut lui être contraire. Je n’entre point dans le labyrinthe des formes de la justice. Je ne cherche que le vrai. C’est de ce vrai seul que dépend l’honneur de la maison de Morangiés : il n’est point dans les mains d’une courtière, prêteuse sur gages, enfermée à l’Hôpital ; d’un cocher connu par des actions punissables ; d’un clerc de procureur, filleul de cette courtière couverte d’infamie, et qui, retenu chez un chirurgien par la suite de ses débauches, prétend avoir vu ce qu’il n’a pu voir ; il n’est point dans les intrigues d’un tapissier nommé Aubourg, qui a osé, à la honte des lois, acheter ce procès[1] comme on achète sur la place des billets décriés qu’on espère faire valoir par les variations de la finance.

Cet honneur si précieux dépend de vous, messieurs ; vous en êtes les possesseurs et les arbitres.

Je commence par vous dire hardiment que le roi, qui est la source de tout honneur, et qui l’est aussi de toute justice, a décidé comme vous. Ce n’est point violer le respect qu’on doit à ce nom sacré, c’est au contraire lui témoigner le respect le plus profond, que de vous répéter ce que Sa Majesté a dit publiquement : « Il y a mille probabilités contre une que M. de Morangiés n’a point reçu les cent mille écus[2]. » Les seigneurs qui ont entendu ces paroles me les ont redites, ces paroles respectables, qui sont, sans doute, du plus grand sens et du jugement le plus droit.

En effet, comment serait-il possible que la dame Véron eût eu cent mille écus à prêter ? Comment cette veuve d’un courtier obscur de la rue Quincampoix eût-elle reçu d’un banqueroutier, six mois après la mort de son mari Véron, par un fidéicommis de ce mari, deux cent soixante mille livres en or, et de la vaisselle d’argent que le défunt pouvait si bien lui remettre de la

  1. Le procès n’avait pas été acheté par Aubourg, ainsi que nous l’avons déjà remarqué tome XXVIII, page 509.
  2. « Ce qui rend le nouvel ouvrage de M. de Voltaire extrêmement insidieux, disent les Mémoires secrets, c’est l’adresse infernale qu’il a eue d’y insérer le propos du roi… » Ajoutons que Voltaire avait tronqué ce propos. Louis XV avait ajouté qu’il y avait mille contre un à parier que Morangiés perdrait. (G. A.)