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elle l’avait retirée secrètement de ce notaire, qui était mort alors ; elle l’avait portée à Vitry secrètement, au fond de la Champagne, dans une charrette ; elle y avait vendu secrètement à des Juifs de beaux diamants, dont le prix servit à compléter les trois cent mille livres ; elle fit porter secrètement à Paris ces trois cent mille livres en or, dans une charrette d’un voiturier[1] qu’on ne nomme pas, à un troisième étage, rue Saint-Jacques. Et moi, ajoutait Du Jonquay, je les ai portés secrètement à pied, en treize voyages, à M. de Morangiés, pour mériter sa protection. J’ai pour témoins un cocher[2] de mes amis qui est, comme moi, un très-bon bretailleur, et un ancien clerc de procureur[3] qui se faisait guérir dans ce temps-là même de la vérole chez le chirurgien Ménager ; j’ai pour témoins mes sœurs, qui subsistent de leur travail de couturières et de brodeuses, et une prêteuse sur gages qui a été enfermée à l’Hôpital.

Il demande, au nom de Mme Véron et au sien, que la justice aille enfoncer toutes les portes chez le comte de Morangiés et chez son père, lieutenant général des armées du roi, pour voir si les cent mille écus en or ne s’y trouvaient pas[4]. La justice n’y va point, et on ne sait pourquoi. Mais le comte de Morangiés demande au magistrat de la police, qui a l’inspection sur les prêteurs à usure, qu’on approfondisse cette affaire.

Le magistrat délègue le sieur Dupuis, inspecteur de police, homme très-sage et reconnu pour tel, qui se transporte, accompagné d’un autre officier nommé Desbrugnières, chez un procureur où l’on fait venir Du Jonquay et sa mère nommée Romain, fille de la veuve Véron, La mère et le fils, interrogés, avouent

  1. Il est étrange que, dans le cours de ce procès, on n’ait point songé à rechercher le fait de ce prétendu voiturier : tous les voituriers sont connus, leurs noms sont sur des registres ; comment n’a-t-on fait aucune enquête à Paris et à Vitry ? (Note de Voltaire.)
  2. Gilbert.
  3. Aubriot.
  4. Cette requête n’est-elle pas un artifice par lequel on voulait se ménager l’avantage de paraître au moins prévenir les plaintes de l’emprunteur ? Il est bien vraisemblable que si cet emprunteur avait reçu les cent mille écus qu’il déniait, il les aurait mis à couvert, et aurait rendu très-inutiles les démarches de la famille Véron. Il n’est pas moins probable que, si l’emprunteur avait été de mauvaise foi, il n’avait nul besoin de nier la dette ; il aurait dit à l’échéance : « Arrangez-vous avec les directeurs des créanciers ; » et il aurait joui des cent mille écus. S’il n’a pas pris un parti si facile, c’est une preuve assez forte qu’il n’avait rien touché.

    Il n’y a qu’à lire attentivement les lettres du sieur Du Jonquay mentionnées au procès, pour voir que cet homme n’avait point porté et donné cent mille écus. (Note de Voltaire.)